Le défilé de la Gay-Pride affiche une homosexualité souvent tonitruante. Image de la réalité ? Il faut aux homosexuels masculins et féminins une volonté peu commune pour vivre leur situation et réussir à s’épanouir.
1962 : les cloches d’une petite commune (500 et quelques âmes) de l’Ouest célèbrent dans la liesse les épousailles de Véronique et Roland, deux enfants du pays. Lui, 23 ans, tout juste revenu de trois ans d’Algérie ; elle, 19 ans, tendrement émue de ces longues fiançailles (quatre années en tout) arrivées à leur terme. Comme dans les contes de fées, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants – enfin trois, ce qui n’est déjà pas si mal. Roland travaille comme ouvrier pépiniériste, Véronique élève les chérubins.
Chose peu commune pour l’époque, ils échangent beaucoup entre eux, en toute confiance et sans tabou. Seule ombre au tableau, Roland se dit ” satisfait ” de rapports peu fréquents, guère plus d’une fois par mois, et qui n’emportent pas vraiment Véronique au septième ciel. Celle-ci reste un peu sur sa faim ; mais, bon, elle n’en fait pas un drame. Une fois la petite dernière ” débrouillée et mise à l’école “, sa maman décide une remise à niveau professionnelle.
Commence pour elle une nouvelle vie. Intelligente, elle réussit et finit par entrer à l’école d’infirmières psychiatriques. Plutôt bien que mal, elle concilie vie familiale et vie professionnelle, ramenant chez elle les ouvrages de psycho à étudier. Intéressé, Roland lit, lui aussi ; beaucoup, avidement, et c’est là, au cœur des livres, qu’il découvre son homosexualité. Dont il fait part immédiatement à Véronique.
Franches explications
” On avait eu l’occasion d’en parler entre nous, se souvient-elle, comme d’autres sujets. Par exemple, il m’avait dit avoir apprécié l’amitié d’un homosexuel en Algérie, mais c’est tout ce qu’il connaissait de l’homosexualité. Là, tout à coup, c’est comme s’il mettait enfin un nom sur ce qu’il ressentait profondément et qu’une éducation très forte avait jusque-là refoulé. ” Véronique encourage Roland dans sa quête de lui-même mais affirme ” la nécessité de se séparer pour que chacun puisse vivre sa sexualité, et d’expliquer clairement la raison de cette séparation à leurs enfants “. C’est elle aussi qui fait les premiers pas auprès de Nicolas, Olivier et Catherine, alors âgés de 18, 16 et 11 ans.
” Leur père a ensuite repris la discussion, en tête à tête avec chacun et en toute clarté. Dire que ces moments ont été simples à vivre serait mentir. ” L’aîné s’est vivement opposé à son père ; le second a déclaré : ” Moi, ça m’est égal, si vous continuez à nous aimer… ” ; la troisième, peu au fait des choses de l’amour, n’a vu dans cette séparation qu’une confirmation de ce qu’elle pressentait : ” Je sais depuis longtemps que vous ne vivrez pas toujours ensemble “, a-t-elle laissé tomber du haut de ses 11 ans. Pour éviter les non-dits et les faux-semblants, Roland prévient également sa mère qui habite avec eux.
Le temps du doute
Tout le village est bientôt au courant, Roland assume. Les enfants aussi : ils sont restés vivre avec lui tandis que Véronique, poursuivant ses études à la ville, ne revient que le week-end.
La vie continue. Pour Véronique néanmoins commence une période de doute : qui est-elle pour avoir vécu, pendant dix-neuf ans, en bonnes intelligence et harmonie avec un homosexuel et avoir avec lui – et avec bonheur – élevé trois enfants ? Quelques aventures masculines la laissent insatisfaite : serait-elle la femme d’un seul homme ? Sur son lieu de travail, Véronique se prend d’amitié pour Anne, une infirmière psychiatrique qui lui avoue un soir… son homosexualité et dans la foulée son amour pour elle ! Effrayée, elle préfère mettre de la distance avec cette femme qu’elle apprécie beaucoup mais dont elle ne se sent pas ” amoureuse “. Puis, après avoir réfléchi, elle décide de céder à ses avances et de se laisser aimer. ” J’ai alors découvert que faire l’amour avec une femme était juste ce qu’il me fallait. J’ai eu le sentiment d’être reconnue dans mon entier, d’être comprise, aimée pour moi-même. J’ai connu un grand bonheur orgasmique “, avoue-t-elle, en se reconnaissant finalement elle-aussi homosexuelle.
Un an à peine s’est écoulé depuis la découverte par Roland de son homosexualité, pendant lequel celui-ci a eu des amants, fréquenté les lieux de drague gay. ” La sexualité physique est plus exigeante chez les hommes homosexuels, mais affectivement c’est souvent la grande misère et la solitude “, estime Véronique qui continue à voir le père de ses enfants resté son ami.
La liaison, une vraie passion, d’Anne et Véronique durera cinq ans. Là encore, les enfants, toujours très proches de leur mère, sont mis au courant de la situation : l’aîné qui vit avec une compagne ne tente aucun rapprochement avec Anne ; le second devient très ami avec elle ; la dernière ne se trouve guère d’atomes crochus avec l’amie de sa mère. Mais jamais Véronique ne se sentira le courage de dire à ses parents qu’elle est homosexuelle.
Après Anne, Véronique connaîtra encore Chantal, avec qui elle vivra une dizaine d’années et auprès de qui elle apprendra ” à aimer sans rien attendre de l’autre “, puis Marie-Odile dont ” les caresses lui feront vivre des orgasmes imprévus, des moments grandioses de plénitude et presque d’éveil spirituel “, puis Sylvie et de nouveau la tendresse de Chantal.
Véronique vit aujourd’hui seule, elle est grand-mère de neuf petits-enfants. Ils sont très curieux de ce drôle de modèle de parentèle que présentent leurs grands-parents : Roland et son compagnon (liaison stable depuis 1995), Véronique et ses amies de passage, et ils ne cessent de poser des questions à leur sujet.
Et si c’était à refaire ? ” Je suis très heureuse de ces événements pas toujours faciles, ils m’ont enrichie. Je suis sûre d’une chose : j’aurais eu trois enfants, mais je n’aurais pas vécu avec un homme. “
Le prix fort
La réponse de Véronique montre le manque auquel peut se heurter l’amour homosexuel. L’épanouissement de cette forme de relation se paie au prix fort : un désir d’enfants inachevé, terriblement frustrant. C’est ainsi que Thérèse, homosexuelle, a sombré dans le désespoir, rompu avec sa compagne et fait un long séjour en psychiatrie. Lucide sur elle-même, Anne s’est mariée ” pour avoir des enfants ” puis a divorcé. D’autres couples-femmes partent à l’étranger pour tenter une insémination artificielle. Les couples-hommes ressentent eux aussi très fort ce manque d’enfants et voudraient que leur soit reconnue la possibilité d’en adopter.
À ce problème s’ajoute parfois beaucoup de solitude : l’incompréhension des familles (parents, frères et sœurs) devant le phénomène rend l’aveu difficile, quand il ne provoque pas la rupture. Olivier a dû quitter sa région, rompre avec les siens. Sa sœur Nathalie a eu toutes les peines du monde à renouer avec ce frère profondément traumatisé par son rejet de la cellule familiale.
Côté parents, les choses ne sont pas simples non plus. Caroline dit avoir été ” anéantie ” par la nouvelle et ” s’est reproché de ne s’être rendu compte de rien “. D’autres se sentent coupables de n’avoir pas été davantage présents, d’avoir été trop préoccupés par leur travail, et se demandent ce qu’ils ont pu ” mal faire ” pour arriver à ” ce ” résultat.
Cette incompréhension occasionne chez le jeune une perte de confiance dans ses parents et ouvre la porte aux sentiments dépressifs, à une prise de risques variés (tentatives de suicide, rapports sexuels non protégés…) et autres comportements dommageables.
Impossible bien sûr, dans des domaines aussi sensibles, de se poser en donneur de leçons. La seule attitude juste à adopter est celle du respect de l’autre dans sa différence et sa complexité. C’est pour apprendre, tenter de comprendre cela et renouer le dialogue que des associations se sont créées. À l’image de Contact, qui organise des réunions pour les personnes homosexuelles et leur famille et tient des permanences téléphoniques (l’association a également édité une plaquette gratuite intitulée Notre enfant est homosexuel). Telle encore la Ligne azur destinée aux adolescents et aux adultes concernés (parents, éducateurs, formateurs…) ; ou le Centre gai et lesbien, véritable forum sur tous les aspects de l’homosexualité (juridique, médical, social…) et qui peut renseigner sur les différentes lignes d’écoute spécialisée. Pour ne pas rester seul(e) face à cette réalité.
Cécile Baudet
Source : limpatient.wordpress.com