Jumeaux, une paire inséparable ?



Que nous soyons ou non directement concernés, la gémellité ne laisse pas indifférent. Ils interrogent sur le caractère unique de l’être humain et nous font rêver à cet autre qui serait un peu soi. Mais, il n’est pas simple d’être deux et un à la fois…



Depuis l’introduction dans les années 1980 de la fécondation in vitro, le nombre de naissances gémellaires a augmenté d’un tiers, celui des mises au monde de triplés a été multiplié par deux. Pourtant, ces frères et sœurs nés le même jour continuent à être sujets d’émerveillement, mais aussi d’inquiétude ou de perplexité. Faute aux nombreuses légendes dont ils sont les héros tels Jacob et Esaü, Castor et Pollux ou Remus et Romulus, et aux mystères qu’ils représentent, malgré l’existence d’une science, la gémellologie, qui étudie, à travers les jumeaux, la part de l’inné et de l’acquis chez l’Homme. Faute aussi au « syndrome du jumeau fantôme » selon lequel 15 à 20 % de la population auraient vécu quelques jours à quelques semaines in utero avec un jumeau sans que la gémellité soit diagnostiquée. « Une population substantielle de sujets nés seuls sont en fait les produits d’une embryogénèse gémellaire et peuvent montrer une concentration de toutes les difficultés de développement auxquelles les jumeaux sont connus pour être spécifiquement sujets », affirme le généticien américain Charles Boklage. Faute enfin au désir inconscient de chacun de trouver son double, son âme sœur…



Une conscience spécifique


Les jumeaux ont, en effet, cette particularité de former une paire pour la bonne raison que, de leur conception à la fin de l’adolescence, ils suivent sensiblement le même rythme de croissance. De ce parallélisme découle une double conscience de soi : en tant qu’individu, mais également en tant que membre d’une paire. Ce qui explique que les jumeaux aient tendance à dire « nous » plutôt que « je » ou encore, comme Alizé et Mélodie, à compter à partir du chiffre 2, comme si le 1 n’existait pas dans leur vécu propre. Dans leur relation à la mère, il n’y a que rarement de relation duelle car, même si elle allaite ou baigne individuellement ses bébés, elle le fera généralement en pensant que l’autre attend. « Une complicité absolue est tout simplement impossible pour la plupart des mères de jumeaux, observent les professeurs d’obstétrique Jean-Claude Pons et Emile Papiernik et la psychologue Christiane Charlemaine dans leur Guide des jumeaux (éd. Odile Jacob). L’attention individuelle se caractérise par sa brièveté et la continuelle oscillation d’un bébé à l’autre. » Les jumeaux forment de fait un couple, ce qui les rend moins ouverts sur l’extérieur. Un tiers d’entre eux témoignent, par rapport aux autres enfants, d’un retard de langage de quelques semaines à 6 mois. Certains vont jusqu’à inventer leur propre langage auxquels eux seuls ont accès.

Une identité distincte


Les parents de jumeaux auraient tendance à développer, consciemment ou inconsciemment, leur similitude en leur attribuant des prénoms présentant les mêmes initiales ou sonorités, des vêtements identiques ou, au contraire, juste de couleur différente.


Laura a toujours mis un point d’honneur à habiller différemment ses filles. « Oui, elles sont jumelles, dit-elle, mais elles ont chacune leur personnalité et elles ne se ressemblent pas plus que deux sœurs. » Elle s’est aussi battue contre l’appellation « les jumelles ». « Lorsqu’on a déménagé, elles ont eu beaucoup de mal à s’intégrer dans leur nouvelle classe car leurs camarades les considéraient comme un bloc, et non comme deux individus séparés.


Et on n’est pas ami avec un duo, mais avec une personne en particulier… » Depuis les travaux de René Zazzo dans les années 1960, tous les scientifiques reprennent les idées phares du chercheur en psychologie de l’enfant, spécialiste de la gémellité : « Chaque individu est une personne unique au monde. Les jumeaux ne sont pas une seule personne en deux exemplaires. » Ainsi, tant les professeurs Pons et Papiernik que Christiane Charlemaine affirment aujourd’hui que « tous les jumeaux, y compris les monozygotes [issus du même ovule], émergent du temps troublé de la grossesse comme des individus uniques, avec des attirances et des manifestations comportementales assez distinctes ». René Zazzo explique aussi les différences de personnalité par les effets de couple, chaque jumeau évoluant en fonction des interactions avec son cojumeau : « Deux êtres liés par une relation forment une structure entre eux […]. Les jumeaux, et eux seuls, nous permettent de voir la part du troisième facteur – la vie en commun – qui va les différencier sur certains points, créer des complémentarités ou les faire se ressembler sur d’autres points. »



Les auteurs du Guide des jumeaux reconnaissent ainsi que « les jumeaux qui sont encouragés à avoir des amis propres, des activités et des objets personnels, qui sont individualisés par leur environnement, sans stéréotypes, et complimentés quand ils le méritent, grandiront avec un sens d’identité individuelle, de valeur personnelle et de confiance qui leur permettra d’avoir une bonne relation aussi bien avec leur cojumeau qu’avec leur famille et leurs amis ».



Amis ou rivaux ?


Entre jumeaux, la jalousie est omniprésente. Les parents de Guillaume et Charles ont ainsi remarqué que lorsqu’ils offraient à chacun un cadeau, le premier regard porté par les deux jumeaux allait en premier lieu au cadeau… de l’autre ! « Au cas où l’un aurait un plus gros présent que l’autre… », s’amuse le père. Le cojumeau n’est ainsi – loin s’en faut – l’ami indéfectible ; il peut au contraire représenter un dangereux rival. Bon nombre d’entre eux se fâchent à l’âge adulte pour en finir avec les comparaisons, pour pouvoir trouver son espace dans ce couple qui les enferme, pour ne plus être confronté au jumeau préféré, pour quitter le rôle assigné et prendre pleinement possession de toutes ses capacités, pour sortir de sa position de dominé face au jumeau dominant…, bref, pour devenir soi.



Les psychanalystes s’accordent sur le fait que le processus de séparation entre jumeaux est aussi difficile que celui entre une mère et son enfant. D’où l’importance du rôle des parents qui doivent les aider, encore plus que pour de simples frères et sœurs, à acquérir leur identité propre. « La vraie liberté pour eux, c’est de leur apprendre à être différents afin de pouvoir être identiques ponctuellement s’ils le désirent », lance Muriel Decamps, auteure de Les jumeaux (éd. Cavalier Bleu). Savoir que les jumeaux séparés se ressemblent davantage – l’absence d’effet de couple permettant à l’inné de s’exprimer pleinement – devrait donner envie aux parents d’enfants multiples de contribuer à leur individualisation.



Ensemble ou séparés en classe ?


Des études récentes menées conjointement aux États-Unis, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas sur 878 paires de jumeaux de 5 à 7 ans tendent à prouver que ceux qui sont séparés tôt s’avéreraient plus anxieux et moins performants en lecture que ceux scolarisés dans la même classe. Pourtant, Muriel Decamps affirme que « l’Institut Mendel de Rome qui a analysé plus de 18 000 cas de jumeaux, a conclu que leur séparation à l’école était toujours positive. » Mais, elle rajoute : « Sans aller à l’encontre de ces résultats, il est toutefois important de nuancer. Une décision de séparation se passe bien si elle n’est pas prise arbitrairement, contre l’avis des intéressés. Sinon, on risque d’obtenir l’effet inverse de celui recherché, c’est-à-dire un rapprochement fusionnel des jumeaux, ou bien d’entraîner une dépression. » Donc, à chaque parent de jumeaux de décider de les scolariser séparément ou non et si oui, à quel âge. René Zazzo préconisait la séparation à l’entrée du CE1, tandis que Régine Billot, auteure de Les Jumeaux (éd. Balland), la recommande en moyenne section de maternelle. Là aussi, les avis divergent, preuve qu’en matière de gémellité, il en est comme pour les autres enfants : il n’existe que des cas individuels.

Source : limpatient.wordpress.com


Rédigé le 14/05/2008 à 15:31 modifié le 05/03/2010


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