Kit d’urgence relationnelle. Dr Thierry PICCOLI pour la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°71.

Faire face à l'émotion générée par une crise.



L’époque est fertile en événements capables de nous faire perdre pied. En état de crise, quand la peur et les émotions sont à vif, il existe des outils pour reconnecter les patients en souffrance à leurs ressources. Illustration à partir de quatre situations.

Ampleur, soudaineté, menace de mort, incompréhension, incrédulité, sentiment d’impuissance... Voilà bien des critères susceptibles de nous sidérer lorsque des événements, des crises, font irruption dans notre vie. Ils peuvent parfois nous déconnecter, nous privant ainsi de l’accès à nos « ressources », et provoquer ces états de « stress aigus » que l’on rencontre en entretien, suite à certains contextes. Si notre impact sur les événements est (quasi) nul, notre place cependant en tant que soignant peut pourtant s’avérer décisive, et cela dès les premiers instants... Les thérapies brèves, en ouvrant le champ des possibles, vers un contexte relationnel novateur (nouvelle vision, nouveaux apprentissages...), contribuent à renforcer l’autonomie relationnelle de ces patients et nous offrent aussi bon nombre d’outils relativement simples qui, s’ils sont déployés assez précocement, peuvent se révéler précieux et aider ces personnes à « traverser et faire face à leurs émotions... malgré tout... ».

LES CONTEXTES ?
Vous les connaissez tous...
- Covid-19 (nouveau virus, saturation du secteur hospitalier, confinement...).
- Ukraine (situation géopolitique instable, échec des négociations, invasion brutale et inattendue, images en boucle, commentaires, expertises, analyses... risque réel d’extension mondiale du conflit, menace nucléaire...).
- Attentats (métro Saint-Michel, tours jumelles, Bataclan...), catastrophes naturelles (tsunami, séismes...).

LE RÔLE DE NOTRE SOCIÉTÉ ?
Vera Likaj nous invitait au début de la « crise Covid » à nous poser la question suivante : « Que dire d’une société qui réfute nos émotions et dans le même temps ne cesse de les mettre en exergue ? » (1). Nous « baignons », voire nous « dégoulinons » dans cette culture qui prône « l’individualisme », la « gestion », le « self-control », bref, de tout ce qui tend à invalider et à réfuter nos émotions (« je ne devrais pas... »). Pourtant paradoxalement, le traitement médiatique de certains événements, ainsi que les croyances véhiculées, ne font que les amplifier (images en boucle des soldats, de centrales nucléaires, rayons des supermarchés vides, files d’attente aux stations d’essence...). Tel un « pompier pyromane », notre société attise donc sans cesse ce feu qu’elle nous demande d’éteindre, si bien que ce paradoxe, et la confusion qui en résulte, forment une véritable autoroute qui conduit à ces états de crise « hypno-pathologiques » (2).

L’ÉMOTION À TRAVERS DEUX « EFFRACTIONS RÉCENTES » (COVID - UKRAINE)

Afin de bien illustrer ces propos, je vous invite à explorer les quatre situations suivantes, qui probablement feront écho avec vos propres histoires cliniques...

LÉO ET SA PEUR DE NE PLUS CONTRÔLER SON PIPI

Léo a 17 ans, et il passe son bac en 2020. C’est un jeune homme consciencieux, habituellement énergique, dont les résultats scolaires sont encourageants. Tout semble OK dans son environnement familial, social, aussi bien en termes d’attachement, de confiance, de liberté et même d’autonomie. Au moment de l’effraction du Covid-19, il est un peu fatigué et légitimement préoccupé par son avenir (bac, orientation, incertitudes...). L’émotion qu’il ressent en premier, c’est juste un peu de peur, des craintes vis-à-vis du bac et de son avenir. Alors il en parle autour de lui et il essaye de se rassurer. On lui répond : « Mais non, ne t’inquiète pas, ça va aller... Tu ne devrais pas t’en faire... Tu n’auras pas de problèmes... » Et pourtant il ressent toujours cette crainte (peur), alors il se dit : « Je suis bête... Je devrais pas... J’avais pas peur avant... Les autres n’ont pas peur ?... » Il ressent ensuite une sorte de petite « aigreur » ou de « boule » à l’intérieur, tellement désagréable qu’il se laisse embarquer dans de petits évitements occasionnels (il rate certains cours...), afin d’essayer de ne plus ressentir cette peur, cette fameuse « peur d’avoir peur », ce dédoublement de l’émotion, que Montaigne nous présentait ainsi au XVIe siècle : « Qui craint de souffrir, souffre de ses craintes. » Alors Léo se laisse embarquer sur cette voie périlleuse de l’évitement, et il se dit très vite : « Là... j’suis vraiment trop nul… même plus foutu d’aller au bahut ! » Et ça devient ainsi « Bagdad » à l’intérieur de lui, jusqu’à ce qu’un matin, au lycée, alors qu’il fait « pipi » un peu plus souvent que d’habitude (il fait plus froid ? un excès de café ?), un copain lui en fait la réflexion, et il se met a avoir peur de ne plus contrôler son pipi, idée saugrenue qui pourtant lui fait craindre d’aller aux toilettes toutes les 5 minutes, puis : « que vont penser les autres, les profs ? »... et il y pense sans arrêt, si bien que par anticipation lui vient un TOC qui le pousse à se rendre aux toilettes à chaque pause, voire plus. « C’est complètement stupide... Qu’est-ce qui m’arrive en ce moment ?... Je ne me reconnais plus... Là c’est vraiment nimp ! » Il ne ressent bientôt plus rien, il s’isole, reste au lit, et finit par ne presque plus sortir de chez lui... Quand ses parent l’accompagnent en consultation d’urgence au cabinet...

MARINE ET LE RETOUR DE SES TOC DE VÉRIFICATION

Marine a 27 ans, elle est mère isolée avec trois enfants, et sans rentrer dans trop de détails, elle est affublée d’un passé très, très tumultueux... A 18 ans, lorsqu’elle quitte le foyer avec son premier amour, elle va rapidement enchaîner avec un puis deux enfants, avant de se retrouver seule avec le petit troisième, Diego, diagnostiqué « autiste », et placé en institution « à la semaine ». Du côté famille et entourage proche, c’est « pas super top », même si chacun a toujours fait de son mieux, mais en terme d’attachement, de confiance et de liberté, bref de tout ce qui caractérise de bons liens sécures, il semble que nous sommes loin du monde idéal : « On t’avait assez prévenue... T’as voulu tes enfants, eh bien assume ! » Marine avait entamé une thérapie quelques années plus tôt, devant des troubles anxieux envahissants accompagnés de TOC de vérification. Lorsque le Covid fait effraction dans sa vie, elle semble aller mieux malgré tout. Le confinement interdit à Diego d’aller dans son IME, son retour à la maison 24 heures sur 24 engendre cris, pleurs, disputes dans la fratrie, et de nouveau, aussi simplement que ça, tout bascule... L’émotion qu’elle ressent, c’est un mélange de peur, tristesse et colère à la fois. Elle s’épuise à chercher des solutions inefficaces, elle crie de plus en plus, s’en prend aux enfants, aux voisins... Lorsqu’elle demande de l’aide, elle reçoit un accueil mitigé, et même si maman essaye parfois d’être présente, sa mobilisation s’accompagne le plus souvent des reproches et des : « on te l’avait bien dit... », qui font place ensuite aux ruminations et à cette pensée : « j’suis une mauvaise mère, c’est de ma faute, j’y arrive pas... » A l’intérieur c’est « Bagdad » pour elle aussi, et lorsque les TOC de vérification font leur retour, elle se dit que c’est sûrement le moment pour revenir consulter, afin de terminer ce qu’elle avait entamé deux ans plus tôt...

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Dr Thierry PICCOLI

Médecin omnipraticien depuis 1998, formé aux thérapies brèves et à l’hypnose (ARePTA, EDP, Gema). Exerce à côté de Nancy en libéral ainsi qu’en institution. Intervient également dans des ateliers d’intervisions sur cas cliniques, au sein de son CMP et dans un groupe de pairs nancéien.



Rédigé le 22/07/2024 à 16:55 modifié le 22/07/2024

Vice-Président de France EMDR-IMO ®, Hypnothérapeute à Paris, Chargé d'Enseignement en Hypnose… En savoir plus sur cet auteur

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