La poésie, une alliée hypnotique... Pour se séparer de ce qui nous fait souffrir



Printemps et Automne. © Sandra Balsamo (photo © Michel Hidalgo/Samithami)
« La réalité ne se révèle qu’éclairée par un rayon poétique. Tout est sommeil autour de nous. » Cahiers de Georges Braque, Le jour et la nuit.

Comment la poésie peut-elle nous aider dans la pratique de l’hypnose ? Par sa parole le poète recrée un monde harmonieux, dans lequel il nous invite à entrer et à nous mouvoir plus librement. A son tour, nous verrons que le thérapeute sait se montrer poète, parfois à son insu. A partir d’un mouvement amorcé vers l’imaginaire, le praticien en hypnose place son patient dans un espace psychique plus libre. La lecture de poèmes est une véritable expérience sensorielle, amplifiée par l’état de transe, et peut amener à un changement profond. Cet article propose une réflexion sur la poésie comme alliée hypnotique, à partir d’un cas clinique de dépression où un poème joue le rôle central d’induction et de suggestion de guérison, et d’un cas de burn-out où la métaphore poétique vient d’elle-même.

L’OEUVRE D’ART COMME MOYEN THÉRAPEUTIQUE

L’exercice de lire de la poésie à des patients en état de transe, comme chemin de rêverie à parcourir pour habiter leur réalité, est très fécond. Il est possible de citer quelques vers tirés de poèmes connus, à l’improviste et au détour d’une induction hypnotique. Parfois vous reviennent en mémoire des fragments tirés de vos lectures, ou peut-être de vos poésies apprises par coeur à l’école, ou des paroles dont vous avez oublié l’auteur et la provenance. Au moment où vous commencez à vous laisser aller, vous êtes à l’écoute profonde de vos sensations, vous êtes focalisés sur votre patient, et vous avez enclenché la machine à phrases... Alors les images et les mots se mêlent, et il est agréable de les laisser venir, sans plus diriger l’attention sur le sens que sur les sons. Depuis quelques années, je pratique aussi la lecture de poèmes en thérapie. Il est important de partager avec vos patients ce qui vous touche, ce qui investit votre corps et vos émotions, ce qui vous évoque quelque chose de fort. Cela sera perçu par la personne à qui vous vous adressez, rendra plus facile qu’elle s’y intéresse, et créera un climat de confiance favorable à la séance. Cela peut être l’évocation d’un film, la contemplation d’un tableau, quelques pas de danse ou l’écoute d’un morceau de musique, et nombre de collègues y ont recours, mais dans le cas présent il s’agit de la lecture à haute voix de poésie.

UNE PREMIÈRE RENCONTRE

La première fois, ce fut avec un texte du poète Dominique Fourcade, grand écrivain de notre époque, avec un poème en vers libres intitulé Platane commence par (1). L’art suppose un état d’esprit ouvert, nous rendant plus attentifs et curieux. Aussi lire est déjà une façon de commencer à travailler, car la poésie dispose d’une manière particulière à écouter nos patients. Cela nous permet de les rencontrer pour de bon, de les voir d’un oeil neuf dans toute leur singularité. Cela était facilité par le fait que je recevais ce matin-là en première intention Madame W., une femme d’une soixantaine d’années qui venait pour retrouver de l’allant et de la joie de vivre. D’autres diraient qu’elle était « déprimée », ayant du mal à passer le cap qu’elle jugeait difficile du vieillissement. Elle avait été suivie longtemps en psychanalyse, jusqu’à rencontrer François Roustang pour une unique séance. En s’appuyant sur son potentiel kinesthésique, il lui avait fait expérimenter de se laisser couler dans l’eau d’une piscine... et d’en toucher le fond. De là, elle avait pu reprendre pied, rebondir, et émerger. Efficace métaphore ! Quelques années plus tard, elle vient me voir dans le cadre d’une relation amoureuse compliquée dont elle souffre et ne parvient à se défaire. Encore jeune de corps et d’esprit, elle n’arrive pourtant pas à renoncer à cet amour pénible, parce qu’elle craint de ne plus retrouver de compagnon. L’enjeu est la perte de la joie qui serait liée à cette rupture. Elle trouve assez ridicule de venir pour un tel motif, comme si cela n’était plus de son âge, mais elle en conçoit une tristesse persistante depuis quelques mois. Son emploi de responsable de boutique dans le prêt-à-porter féminin ne l’intéresse plus, cependant elle refuse l’idée même de la retraite. Elle a peur de l’avenir et vit dans une forme d’anticipation anxieuse. Elle semble par ailleurs très réceptive à l’hypnose, ce qui est favorisé par le partage de nos souvenirs respectifs à l’évocation de François Roustang. Lorsque je lui parle, elle commence à se poser, se détendre et à s’éloigner un peu de son anxiété. Me vient alors l’idée de lui lire quelque chose afin qu’elle se mette à l’écoute, avant tout des ressentis qui sont prisonniers en elle et qu’elle n’entend plus.

INDUCTION POÉTIQUE

Certains changements sont perceptibles dans l’atmosphère de la pièce, et cela a beaucoup à voir avec l’hypnose/poésie. La poésie repose sur une évocation. Il s’agit, par un usage spécifique du langage, de provoquer un changement de climat, une modification d’attention, un approfondissement des sensations. En cela, c’est très semblable à l’entrée en transe. D’abord imperceptible, un léger flottement se fait sentir, jusqu’à installer une ambiance où Mme W. devient plus disponible, prête à une expérience, en attente du passage à un autre état. Je propose de lui lire un texte, ce qu’elle accepte volontiers. Je l’invite à une pleine présence corporelle et à fermer les yeux, restant à l’écoute, et débute l’induction hypnotique proprement dite, où vient prendre place le poème Platane commence par. Le fait que MmeW. soit une ancienne danseuse professionnelle avait guidé ce choix, car le texte fait de constants appels du pied à la danse moderne. Et on y trouve ce thème rêvé pour l’hypnose : « Il est de l’essence du sommeil d’aspirer au partage entre les dormeuses dont les racines se confondent, tandis qu’il est de l’essence des racines de valser. » Le thérapeute qui lit de la poésie dans un but hypnotique préfère garder un ton neutre, ralentir sa respiration, et orienter sa voix dans plusieurs directions, de chaque côté, vers le haut et le bas, en la projetant derrière le patient. L’usage des intonations est, comme pour toute induction, d’une importance capitale. Et les silences, qui permettent des respirations du texte, et à l’intérieur de soi, laissent de l’espace. Peu à peu, je vois la patiente entrer plus profondément en elle. Le tonus se relâche, un air d’extrême concentration est dessiné sur son visage, la tête penche en avant, nos respirations se synchronisent et s’approfondissent. Et le poème invite à se délester du passé puisque « aujourd’hui me quittent de nombreuses présences, mais pas ce souvenir », et avec confiance « où le plus aimé s’en va-t-il ? si c’est du platane qu’il s’agit, il ne s’en va qu’en lui-même ». Puis il enjoint « le bond d’être là », encore une image en mouvement qui peut parler à une kinesthésique ! Ce saut à faire pour être vivante, de plain-pied dans sa propre vie, cette dame qui a tant dansé peut maintenant l’entendre. Et à voir son visage transformé au retour de la transe, le message est passé. Au fil des mois qui suivirent cette première séance, elle reprendra sa vie en main, deviendra plus autonome, quittant l’homme qui la faisait souffrir. Elle se positionnera plus justement par rapport à son fils adulte et à d’autres personnes de son entourage, se faisant mieux respecter de sa hiérarchie. S’autorisant des loisirs, elle redécouvrira du plaisir à peindre, à se promener dans la nature et à rencontrer de nouvelles personnes. Pas de miracle, mais un retour de l’espoir, une reprise de l’élan vital.

VOIR LES MOTS PRENDRE CORPS

L’atout de la poésie est qu’elle expose des sensations, mais n’explique rien. Bien qu’elle soit véhiculée par la parole, elle court-circuite l’intermédiaire de la rationalité. Elle donne à entendre, à voir, à toucher, et cela passe par les sens autant que par le sens donné à l’ensemble. C’est pourquoi lorsque vous vous appuyez sur le VAKOG, vous approchez déjà du domaine de la poésie. En effet, vous êtes attentifs à repérer chez vos patients quelles sont leurs modalités perceptives préférentielles, les canaux par lesquels ils entrent en rapport avec leur monde, et la façon dont ils se le représentent. Les sensations du corps constituent notre matériau d’induction. Nous travaillons avec les sens ouverts et avec une parole qui touche, qui déplace des affects, suscite des émotions. La poésie de même. Fourcade par exemple affirme écrire ce qu’il expérimente, ce que le monde lui donne à vivre – bien que cela soit traduit dans un langage qui n’est pas évident de prime abord. C’est vrai, on ne comprend pas tout dans un poème ! On attrape des bribes, souvent dans le noir, où surviennent des flashs parfois aveuglants. Une partie est audible dès la première écoute, une plus large partie passe à l’arrière- plan, en ligne directe avec l’inconscient. L’effet est autant dans le son et le rythme, que dans les images et le sens des mots…

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NICOLAS D’ INCA

Psychologue clinicien, hypnothérapeute. Pendant quinze ans a appris, pratiqué et écrit sur la psychanalyse, la méditation et la philosophie. En institution de 2006 à 2017, il se consacre depuis à son activité libérale à Paris. Initié par François Roustang, il s’oriente vers l’hypnose, se forme auprès de ses proches collaborateurs et divers instituts. Etudie la transe dans d’autres traditions, dont l’art et le chamanisme pour leur dimension d’expérience vivante.

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N°60 Février Mars Avril 2021

Dossier : Les techniques de Rossi
Edito : Ernest L. Rossi, celui qui savait poser les questions à Milton Erickson. Julien Betbèze, rédacteur en chef
- Papa, maman, le psy et moi. Comprendre le travail transgénérationnel. Bogdan Pavlovici nous invite avec humour à une séance de thérapie familiale

Peur du vide. Quatre situations cliniques. Nathalie Koralnik utilise l’approche de Palo Alto et nous donne des stratégies précises pour affronter la peur du vide.

La poésie, une alliée hypnotique. Pour se séparer de ce qui nous fait souffrir. Nicolas d’Inca

Espace Douleur Douceur

Edito : Douleur ou souffrance ? Gérard Ostermann

L’attente, une infusion dans le temps : Isabelle Devouge et Marc Galy

- Soulager la douleur en réparant le passé. Philippe Rayet fait le récit d’une histoire clinique mettant en scène la puissance de l’imagination active

- Quand tout bascule. Luc Evers, passé brutalement du statut de thérapeute à celui de patient témoigne de son expérience et de son utilisation de l’autohypnose avant, pendant et après son opération

Dossier : hommage à Ernest Rossi

Un chercheur en action. Dominique Megglé

- Un génie avec beaucoup de lumières. Claude Virot

L’art de l’induction de transe et de l’accompagnement dans le processus hypnotique par le questionnement. Wilfrid Martineau

Rubriques

Quiproquo, malentendu et incommunicabilité. « Illumination ». Stefano Colombo

- Les champs du possible. Je ne parle plus l’hypnose. Les troubles du comportement alimentaire et les mots. Adrian Chaboche

Culture monde. Expérience visionnaire d’un soufi. Sylvie Le Pelletier

Les grands entretiens. Mark P. Jensen, soulager les patients de leurs douleurs chroniques. Par Gérard Fitoussi

Livres en bouche



Rédigé le 03/05/2021 à 23:08 modifié le 03/05/2021

A Marseille, Laurence ADJADJ, Présidente de France EMDR-IMO ®, Psychologue, Psychothérapeute et… En savoir plus sur cet auteur

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