Le garde-barrière de l’intestin. Exemple de protocole

Jean-Christophe LE DANVIC



Lorsqu’un patient m’est adressé par un médecin pour des douleurs de dos, il peut bénéficier de quinze séances d’une demi-heure, plus de sept heures de soins. La relation patient/thérapeute peut cependant aller plus loin que les simples techniques de massage ou d’étirement utilisées habituellement en kinésithérapie. Souvent une alliance thérapeutique se crée, la parole du patient se libère.

Certains de mes patients souffrant de douleurs chroniques lombaires ou cervicales me racontent leurs blessures, leurs peurs, leurs attentes, leurs échecs, leurs colères. Parfois je n’interviens pas autrement qu’en les écoutant et ils développent alors un autre regard sur leurs douleurs. Il arrive ainsi que certains me racontent leurs douleurs de ventre, des douleurs concomitantes ou antérieures à la pathologie pour laquelle ils me consultent. Elles apparaissent sans raison apparente, elles deviennent chroniques, les examens sont normaux.

Le médecin parle alors parfois de colopathie fonctionnelle, de syndrome de l’intestin irritable, indique éventuellement, après plusieurs examens sans résultat significatif, que « c’est dans la tête ». J’ai moi-même parfois eu à subir ces douleurs violentes de ventre, ces dérèglements intestinaux brutaux. Tous les examens passés étaient normaux, rien à signaler donc, « circulez, c’est dans la tête ». Certes, mais ces propos laissent souvent les patients désemparés et sans prise sur le problème.

Or, grâce à la neuroplasticité, nous savons que même le cerveau d’un adulte peut rester malléable. Alors, si nos patients sont parfois très compétents pour imaginer, visualiser, anticiper le pire, pourquoi ne pas les aider à imaginer, visualiser, créer le mieux ? Mon idée est de dépasser la perspective selon laquelle cette douleur de ventre serait le simple produit de l’esprit et de permettre aux patients d’imaginer une origine physiologique à leur inconfort qui leur offre la possibilité d’agir sur une cause matérialisable.

Je savais déjà que les travaux de vulgarisation scientifique concernant le système nerveux entérique – le cerveau du bas et le système nerveux central : le cerveau du haut – offraient une nouvelle perspective des troubles liés au syndrome de l’intestin irritable. Ils permettent de visualiser la façon dont le ventre et le cerveau communiquent entre eux, en utilisant le nerf vague, véritable ligne téléphonique de l’information, et les mêmes neurotransmetteurs. Ils montrent comment il peut y avoir parfois une communication défaillante entre ces deux systèmes, un surplus d’informations transitant jusqu’au cerveau du haut alors qu’elles n’ont rien à y faire, créant alors des malentendus, entérique vers le cerveau central, via le nerf vague, qui transmet le flux d’informations dans les deux sens ? Il me manquait une image suffisamment signifiante et permettant de matérialiser ce processus.

C’est un passage du livre de Giulia Enders qui m’a alors inspiré : « Il ne faudrait pas que le moindre petit pois mal mastiqué aille embêter le cerveau. Un intestin en bonne santé n’utilise pas le nerf vague pour transmettre des signaux digestifs insignifiants : il les traite en interne, avec son cerveau, ce n’est pas pour rien qu’il en a un. Cela dit, si quelque chose lui semble de la première importance, il peut en faire part au cerveau du haut (…). Quand le nerf vague veut communiquer des informations à certaines zones ultra importantes du cerveau, il doit franchir le contrôle de sécurité (…). Ces stimuli obtiennent un laissez-passer parce qu’ils sont jugés dignes d’intérêt par le garde-barrière de l’intestin » (1).

Le garde-barrière de l’intestin (2) était l’image que je cherchais. Imaginons que le garde-barrière ne fasse pas bien son travail, imaginons qu’il laisse passer trop de signaux gênants, imaginons qu’il ne contrôle pas suffisamment ce surplus de stimuli censé être traité en interne, par le cerveau de l’intestin et ses deux cents millions de neurones, imaginons… Imaginons que le patient souffrant du syndrome de l’intestin irritable puisse s’approprier ces nouvelles images du lien entre son ventre et son cerveau du haut, appréhender les éventuels dysfonctionnements de communication entre ces deux organes, et réapprendre au garde barrière de son intestin à mieux filtrer certaines informations et ainsi retrouver un certain calme à l’intérieur. J’utilise déjà pour mes patients douloureux chroniques des réifications métaphoriques au sein desquelles ce n’est pas le patient qui agit en auto-hypnose sur sa douleur, sur l’image de sa douleur, mais où le patient observe un autre personnage agir sur cette douleur.

L’image de garde barrière de l’intestin me semblait alors un outil idéal pour créer une nouvelle réification métaphorique, permettant ainsi un niveau de dissociation supplémentaire dans le processus hypnotique et rendant la transe plus profonde. Je propose ici de décrire une séance type, le script du premier rendez-vous avec le patient, la première séance d’hypnose pour aller à la rencontre de son garde-barrière (3). Ce protocole comporte trois parties. Dans la première partie, je présente au patient des représentations du cerveau entérique, du nerf vague, du lien entre les deux cerveaux. Ce sont des photos, des dessins que j’ai glanés sur Internet, certaines de ces représentations sont particulièrement parlantes et permettent au patient de commencer à imaginer autre chose que « c’est dans la tête ».

Nous discutons de la surface des intestins qui peut recouvrir un terrain de tennis, nous échangeons sur la même origine embryonnaire des neurones des deux cerveaux, nous parlons de la sérotonine fabriquée à plus de 90 % dans le tube digestif. Je termine en leur montrant la reproduction d’un tableau. C’est une peinture surprenante qui représente le microbiote intestinal, le cerveau central et ce qui peut être le nerf vague, la route de l’information qui les relie. Sur le trajet reliant ces deux cerveaux, on distingue parfaitement une silhouette humaine devant un pupitre avec des boutons de contrôle. Un contrôleur du flux d’informations, le garde-barrière ! Peut-être commencent-ils alors à imaginer autre chose, à adopter une autre perspective. Dans la deuxième partie, je propose au patient d’aller à la rencontre de son ou sa garde-barrière, après une lévitation, que je prends toujours le temps d’installer.

Voici le script de cette deuxième partie (4) : « Et pendant que cette partie de votre esprit observe cette incroyable légèreté, là, dans cette main… Une autre partie de votre esprit observe maintenant, avec beaucoup de soin, beaucoup d’attention, ce qu’il y a là, dans ce ventre, peut-être là, dans cet intestin, dans cet intestin tout rose, tout doux… Vous savez, contrairement à l’idée répandue… l’intestin n’est pas un long tuyau triste et sale. Il est peut-être d’une brillance veloutée, d’une humidité rosée, et d’une délicatesse plutôt étonnante… seule la toute fin de notre intestin est concernée par nos excréments, sa plus grande longueur est incroyablement propre… (5).

Et c’est peut-être là que vit votre garde-barrière, ou vôtre contrôleur de l’intestin… » Certaines personnes visualisent rapidement ce garde-barrière, d’autres ont besoin d’un peu d’aide pour stimuler leur imagination. « Peut-être pouvez-vous lui dire que vous êtes là… Il y a peut-être un bureau d’accueil avec une sonnette, ou peut-être faut-il frapper à cette porte, là… peut-être y a-t-il un téléphone, quelque part, pour l’appeler… Est-ce que cette partie de votre esprit peut me dire si elle aperçoit ce garde-barrière, ou ce contrôleur ?… »

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Dialogue stratégique pour le changement thérapeutique. Gregory LAMBRETTE
« La vie est encore elle-même un thérapeute très efficace. » Karen HORNEY
LIMINAIRES
« Savoir écouter, oser intervenir », telles sont les qualités premières du thérapeute stratégique selon John Weakland, l’une des figures de proue de l’école de Palo Alto

Protections dissociatives. Gérald BRASSINE
ANESTHÉSIANTS POUR L’HYPNOTHÉRAPIE DU TRAUMA.
Une bonne compréhension de l’hypnose est centrale pour saisir les mécanismes hypnotiques qui sont à l’oeuvre dans la création des états, tellement douloureux, de stress post-traumatiques (ESPT).

Note Dixième selon François Roustang
« Parler de la liberté n’est qu’une autre manière de parler de l’hypnose ou de la définir », « L’apprentissage de la liberté », intervention au colloque de l’AFEHM, 2007 C’est sur la notion de liberté, et il ne pouvait en être autrement, que nous refermons cette rubrique consacrée à quelques éléments de la pensée de François Roustang. 

Entrée dans l’IRM
Dr JUANA PELAEZ PEREZ. Médecin anesthésiste-réanimateur au Centre hospitalier de Tolède en Espagne, formée à l’hypnose médicale à Paris VI. Pour elle, l’hypnose est un complément de travail qui aide les patients à améliorer leur adhésion aux soins médicaux. Et l’utilisation de l’hypnose en complément crée dans l’équipe médicale une atmosphère de travail en harmonie.

Le garde-barrière de l’intestin. Exemple de protocole.Jean-Christophe LE DANVIC
Lorsqu’un patient m’est adressé par un médecin pour des douleurs de dos, il peut bénéficier de quinze séances d’une demi-heure, plus de sept heures de soins. La relation patient/thérapeute peut cependant aller plus loin que les simples techniques de massage ou d’étirement utilisées habituellement en kinésithérapie.

Hypnose et urgences pré-hospitalières.
« Qui craint de souffrir, souffre déjà de ce qu’il craint », disait Montaigne.
FRÉDÉRIC DOLLET Infirmier anesthésiste au Samu 59 à Lille. Titulaire du DU d’Hypnose de la Faculté de Lille.

Éditorial Sophie COHEN et Henri BENSOUSSAN
Pourquoi cette thématique ? En écho au dernier congrès de la Confédération francophone d’Hypnose et de Thérapies brèves (CFHTB) qui s’est tenu à Montpellier en mai dernier, où nous avions alors, Henri Bensoussan et moi-même, animé une table ronde sur ce sujet.

Conscience, placebo et réalité virtuelle Sophie COHEN et Henri BENSOUSSAN
Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°55
Pour débuter notre article, nous vous proposons quelques définitions. Car même s’il est complexe de définir des notions en constante évolution, il nous semble essentiel pour débuter de s’intéresser aux notions suivantes : conscience, placebo, effet placebo, réalité virtuelle.

La réalité virtuelle au bloc opératoire. Des expériences sans suite. Dr Marc GALY
J’ai utilisé les casques de réalité virtuelle en janvier 2017 au bloc opératoire pour des interventions sous anesthésies locales et locorégionales, mineures et relativement courtes (varices). Dans ces expériences, le casque n’a pas répondu aux besoins du patient et n’a pas installé la relation thérapeutique basée sur une présence partagée.

L’alliance hypnose et yoga nidra. Une mise en résonance avec le patient. Dr Gérard VIGNERON.
Gérard Vigneron, médecin, a expérimenté des pratiques complémentaires à l’hypnose. Il nous parle de ses expériences qui, aux frontières du réel, interrogent notamment la notion de conscience locale.

Pas de panique ! Dr Stefano Colombo, Revue Hypnose et Thérapies brèves 55
« Je ne vais pas écrire que je ne mens pas. »
Cette phrase n’a pas été la phrase que Frédéric n’avait pas prononcée lors de la réception que l’entreprise Communication & Clarté SA n’avait pas voulu organiser.

La crêpe, et papa à gauche. Dr Adrian CHABOCHE et Virginie NAVINEL, orthophoniste
Voici un voyage dans les méandres labyrinthiques de la complexité merveilleuse de notre cerveau. Cette situation clinique est proposée par une lectrice de la revue, orthophoniste spécialisée dans la rééducation des adultes. Madame S.

Histoire de l'Hypnose. Didier MICHAUX
Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à ce sujet, l’hypnose, il n’y avait que très peu de thérapeutes faisant appel à cette pratique. Le plus célèbre était le Dr Léon Chertok, psychiatre dirigeant le service de médecine psychosomatique de l’Elan Retrouvé, auteur du livre L’Hypnose, un des rares livres, alors récent, parlant de ce sujet. En fait, le mot n’évoquait que le music-hall et en général les parasciences pour la plupart des gens.

Les grands entretiens: Gérard OSTERMANN interviewé par Gérard FITOUSSI



Rédigé le 02/05/2020 à 23:10 modifié le 22/09/2020

Ostéopathe et Hypnothérapeute à Paris. Membre du Collège d'Hypnose & Thérapies… En savoir plus sur cet auteur

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