Thierry Janssen : C’est un fait. La médecine scientifique comprend assez bien le “sens biologique” des affections-diseases qu’elle analyse, diagnostique et soigne à l’aide de remèdes et de technologies. Les patients, quant à eux, s’intéressent de plus en plus au “sens symbolique” de leurs malaises-illnesses et tentent ainsi d’inscrire leur expérience de la maladie dans le cours de leur existence.
En revanche, le “sens collectif” de nos maladies-sicknesses est très peu pris en compte dans nos sociétés contemporaines occidentales ou occidentalisées. On est loin de ce qui se produit dans des sociétés traditionnelles comme celle des Navajos où la guérison d’un individu passe par une remise en question de toute la communauté ; chaque membre du clan participe aux rituels organisés par le guérisseur, le hataali, qui dessine des peintures de sable sur le sol du hogan, où les cérémonies de guérison peuvent durer jusqu’à huit nuits et neuf jours.
A.G. : Vous semblez le regretter…
Th. J. : Et pour cause. Le peu de conscience et d’intérêt pour le “sens collectif” des maladies aboutit à un manque de réflexion de la part de nos collectivités à propos des moyens de prévenir nos maux. Les individus sont déresponsabilisés par rapport à leur santé. Toute la société évite de s’interroger sur les causes profondes impliquées dans la genèse des maladies.
Prenez l’exemple des plans “anticancer”. D’un côté, on conseille aux gens de manger plus de fruits et de légumes, on leur recommande d’éviter le tabac, l’alcool, les graisses, trop de sucre – ce qui n’empêche pas de continuer à vendre les fruits et les légumes aussi chers, et d’autoriser la commercialisation d’un nombre invraisemblable d’aliments trop gras et trop sucrés, sans parler de l’imposture qui consiste à vendre des cigarettes et de l’alcool en enrichissant les caisses de l’Etat, le même Etat devant financer la prise en charge des maladies causées par le tabac et l’excès de boissons alcoolisées.
D’un autre côté, les plans “anticancer” mettent l’accent sur la nécessité d’un dépistage précoce. Celui-ci est certes très important car il représente le moyen de guérir plus de malades, cependant on ne peut pas parler de véritable politique “anticancer” puis-que, jusqu’à preuve du contraire, dépister une maladie ce n’est pas empêcher cette maladie d’apparaître !
Si nous voulions réellement diminuer le nombre des cancers, nous devrions clairement définir les facteurs qui favorisent et provoquent l’émergence et l’augmentation de cette maladie ; parmi ceux-ci les pollutions environnementales occupent une place sous-estimée, c’est donc nos modes de production et de con-sommation qui devraient être remis en question.
A.G.: Ceci impliquerait un profond changement…
Th. J. : Bien entendu. Une véritable prévention du cancer impliquerait un profond changement des fondements de notre civilisation. Comme la plupart des maladies, le cancer est une pathologie d’origine multifactorielle. Y participent des causes héréditaires, des déséquilibres alimentaires, des pollutions environnementales d’autant plus dangereuses qu’elles sont souvent invisibles, des agents infectieux, mais aussi des stress psychologiques chroniques qui fragilisent l’individu et l’“usent” prématurément.
Aujourd’hui, nous vivons plus longtemps, essentiellement grâce aux développements des mesures anti-infectieuses (hygiène, vaccins, antibiotiques) et grâce aux progrès de la chirurgie qui répare les corps malformés, les corps cassés et les corps usés. Cependant, l’allongement de notre temps de vie nous expose à un nombre plus important de facteurs d’usure, parmi lesquels le stress chronique et les pollutions environnementales très toxiques pour notre santé.
Il en résulte toute une série de pathologies d’usure, chroniques et survenant de plus en plus précocement : maladies cardiovasculaires, diabète, arthrites, maladies inflammatoires et auto-immunes, allergies, ulcères de l’estomac, dépressions, cancers… autant de maladies dites “de civilisation” face auxquelles nous devons interroger nos comportements et revoir nos modes de vie.
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