s’interrogent depuis une dizaine d’années sur la qualité des soins et la prévention à offrir aux soldats et aux vétérans de leur pays. En cinq ans, la prescription d’antalgiques chez les soldats américains a été multipliée par trois, avec tous les effets secondaires que cela implique. Le système de santé américain est en crise. L’armée est un microcosme de ce qui se passe dans la population générale, de ce fait, il est possible d’évaluer sur cette population les effets bénéfiques d’une approche intégrative pour ensuite l’étendre à la population générale.
Voici quelques pistes.
En 2010, le rapport sur la prise en charge de la douleur dans les forces américaines, Pain management task force final report, fait état de la nécessité urgente de restructurer ce domaine par rapport à l’inefficacité de la prise en charge de la douleur chronique (toutes causes confondues) chez le soldat et le vétéran. Bien que ce rapport assez fastidieux conclut comme la majorité des articles scientifiques au sujet des approches intégratives (à savoir, plus d’études doivent être lancées pour évaluer les impacts des modalités thérapeutiques… Qui finance ?), il a néanmoins le mérite de citer des approches innovantes dans une organisation ultra-conventionnelle qu’est l’armée américaine : l’acupuncture, le yoga et le yoga nidra, la méditation, la chiropraxie, la musicothérapie et bien d’autres approches figurent dans ce relevé de la littérature.
Dans cette dynamique, d’autres médecins militaires américains vont se former à ces approches complémentaires. J’ai eu la chance de rencontrer le Dr Richard Petri lors d’une de ces réunions OTAN. Psychiatre militaire, il est le directeur du centre médical militaire William Beaumont, à El Paso, au Texas. Il a été chargé par le ministère de la défense d’implémenter un programme intégratif de prise en charge de la douleur chez les soldats. Il pratique l’acupuncture, et s’est spécialisé dans les approches psychocorporelles. Original comme parcours professionnel. Son opinion sur l’évolution des mentalités en
matière de médecine intégrative ? Bien que son centre ait reçu des subventions récentes pour aménager les lieux selon les critères de la médecine intégrative, avec un environnement favorisant la guérison, des espaces verts thérapeutiques, les choses n’avancent pas aussi vite qu’elles le pourraient. Étant donné que le système de santé entier est en crise, les budgets sont resserrés, et les premiers secteurs touchés sont les plus récents, à savoir la médecine intégrative.
Cependant, côté vétérans (les Etats-Unis ont un système de prise en charge des vétérans plus développé qu’en France), le Dr Tracy Gaudet, directrice du bureau des soins centrés sur le patient, des affaires des vétérans (VA) est optimiste. Elle a assisté à l’essor de la médecine intégrative tout d’abord en milieu
civil : dans les années 90, elle était la directrice de l’une des premières cliniques universitaires de médecine intégrative, en Arizona. Elle a ensuite développé le cursus universitaire de médecine intégrative à la prestigieuse faculté de médecine à Duke, en Caroline du Nord. En 2011, elle poursuit dans les affaires des vétérans, avec comme objectif d’implémenter dans le système actuel une prise en charge cohérente centrée sur le patient. « En 20 ans, nous sommes passés de : « il faut d’abord prouver que ces approches fonctionnent », à « où pouvons-nous implémenter ces approches au sein de structures conventionnelles» ».
Concrètement, aujourd’hui, devant les chiffres dramatiques du nombre de suicides chez les vétérans (un par heure, selon le bureau des vétérans), l’état américain est prêt à investir et à innover. Selon un rapport récent de janvier 2014 du département de la défense américaine (4), 120 centres de soins militaires sur 421 offrent au moins une modalité CAM (médecine complémentaire et alternative). Les effets positifs, notamment dans la prise en charge de la douleur chronique, contribuent à l’encouragement de la poursuite de ces approches dans les autres centres non initiés. Ce nouvel élan militaire incite les universités
civiles à s’ouvrir : en 1995, une dizaine de facultés à peine proposaient une sensibilisation à ses étudiants en médecine intégrative.
Aujourd’hui, ce sont 60 facultés qui ont signé un consortium pour développer un diplôme universitaire de médecine intégrative. Ceci a conduit à une révolution en matière de médecine : depuis cette année, la médecine intégrative est reconnue comme une spécialité par le conseil de l’ordre des médecins aux États-Unis. Les médecins de toute spécialité pourront se former à un diplôme universitaire de médecine intégrative, valider une évaluation en ligne, et s’installer en privé, en clinique ou en hospitalier avec le titre de médecin intégratif. Le documentaire Escape Fire, sorti en 2012, illustre ce fait indéniable: c’est en temps de crise que les solutions peuvent naître, à condition d’être dans l’ouverture.