A. S : Pourquoi en êtes-vous venu à vous intéresser aux médecines complémentaires ?
Dr A. Molassiotis : Il y a quelques années, je travaillais à Hong Kong auprès de malades cancéreux, et je trouvais frustrant notre incapacité à les aider, à maîtriser leurs symptômes ainsi que les effets secondaires des traitements. Vivant dans un contexte oriental, où la médecine traditionnelle chinoise côtoie la médecine orthodoxe, j’eus l’occasion de m’intéresser à d’autres façons de considérer mon travail. Très intrigué par quelques résultats positifs surprenants et ayant personnellement essayé l’acupuncture pour des problèmes de santé, j’ai décidé d’étudier soigneusement cela. J’ai appris l’acupuncture et l’usage des plantes. À mon retour en Angleterre, j’ai essayé d’intégrer ces connaissances dans ma pratique auprès des malades. Ce qui m’a conduit à développer mon propre programme de recherche (sur l’efficacité de cette approche pour, par exemple, limiter les nausées lors des chimiothérapies)… et à mener, avec succès, différents essais.
A. S. : Pourquoi prêter tant d’attention à ces thérapies ?
Dr A. Molassiotis : Comme un tiers des malades cancéreux, voire un peu plus, y ont recours, il est important d’en tenir compte et d’en parler aux patients, car certaines thérapies peuvent interférer négativement avec les traitements classiques. Par exemple, le millepertuis, utilisé dans les états dépressifs légers [tels ceux rencontrés parfois chez les malades cancéreux NDLR] est contre-indiqué avec les anticoagulants et déconseillé lors des radiothérapies car il augmente la sensibilité aux rayonnements. Nous devons être prudents dans le maniement de ces thérapies pour éviter de compromettre davantage l’état des malades.
A. S. : Pour quelles raisons les malades se tournent-ils vers les médecines complémentaires et alternatives ?
Dr A. Molassiotis : Ils espèrent ainsi mieux lutter contre la maladie et se donner tous les moyens de bien faire. Ils veulent prendre part activement à leur traitement et faire face à la survenue de troubles physiques ou psychologiques. Notre étude montre que la plupart des patients recourant aux MCA sont atteints de cancers de moins bon pronostic (comme les cancers du foie ou du cerveau…). Cela donne à penser que ces patients, pour qui la médecine classique dispose de moins de moyens, trouvent dans les médecines complémentaires et alternatives d’autres possibilités.
A. S. : Comment êtes-vous entré en contact avec les autres pays ?
Dr A. Molassiotis : La collaboration s’est faite avec différentes sociétés et associations d’infirmier(e)s de cancérologie, toutes membres de la Société européenne d’infirmiers en cancérologie. Vingt-deux contacts ont été pris, notamment avec l’Association française des infirmières de cancérologie. Seules, 14 ont répondu favorablement.
A. S. : Beaucoup des malades qui ont répondu ont dit qu’ils ne voulaient pas révéler à leurs thérapeutes qu’ils utilisaient les médecines complémentaires. Pourquoi?
Dr A. Molassiotis : Les malades craignent que les soignants, particulièrement les médecins, ne montrent leur désaccord profond et les critiquent en les jugeant sévèrement. En d’autres termes, les malades n’ont pas assez confiance pour en parler. Cette défiance peut nuire à l’établissement des bons rapports nécessaires au succès du traitement. Ce faisant, les malades sont privés d’un autre avis sur les thérapies entreprises, ce qui leur permettrait de choisir en étant bien informés et sans se mettre en danger.
A. S. : Quelles conclusions tirez-vous de votre étude ?
Dr A. Molassiotis : Le recours aux médecines alternatives est élevé en Europe, malgré l’opposition des professionnels de santé. Cela met en lumière la nécessité d’augmenter nos connaissances en la matière et de renforcer leur enseignement auprès des équipes soignantes.
A. S. : Quel avenir voyez-vous aux médecines complémentaires ?
Dr A. Molassiotis : En dépit de ce que pensent les professionnels au sujet des médecines complémentaires, leur usage va durer. Nous devons tous nous interroger à leur propos, travailler à accroître les connaissances à leur sujet, pour fournir une information pertinente aux malades et avoir un point de vue équilibré sur ce qu’elles peuvent apporter. Les malades doivent pouvoir en parler ouvertement. Les professionnels doivent les écouter sans émettre de jugement.
Source : limpatient.wordpress.com