Medoucine, pas si net que ça en a l'air

A l'heure où Doctolib fait le grand ménage d'automne en excluant certains praticiens non détenteurs d'un Diplôme d'Etat, la plateforme Medoucine en profite de ramener à elle ces nouveaux SAF (Sans Agenda Fixe)... Tout ça en utilisant dans leur publicité, le terme de Doctolib qui est pourtant protégé...



Ne vous semble-t-il pas curieux que 99% des "clients" plébiscitent leur praticien ? Ne dirait-on pas des pourcentages dignes des régimes totalitaires ? Alors, Medoucine une entreprise aussi nette qu'elle en à l'air ? Pas certain... D'ailleurs, rappelons-nous ces 2 articles de Marianne à leur sujet.


Médoucine, le Doctolib des "médecines" douces, visé pour pratiques commerciales trompeuses.

Par Margot Brunet pour Marianne du 7 Septembre 2022

La plateforme de prise de rendez-vous en ligne avec des praticiens de médecines douces fait l’objet d’une injonction par la répression des fraudes pour pratiques commerciales trompeuses. En novembre dernier, Marianne montrait comment la recherche de profits pousse ce site à faire la promotion de pratiques dangereuses.
Fin août, Doctolib se retrouvait sous le feu des critiques après que des internautes avaient repéré la présence sur son site de praticiens de médecines alternatives. Pas moins de 17 profils de naturopathes, liés à Irène Grosjean, promotrice du crudivorisme et encourageant des attouchements sexuels sur mineurs, ont été supprimés par la plateforme. Ils ne trouveront probablement pas refuge chez le Doctolib des médecines douces, Médoucine, qui propose des consultations en tout genre de naturopathie, méditation en pleine conscience, reiki [un « art énergétique » d'origine japonaise] ou encore de sophrologie.

Ce 6 septembre, la répression des fraudes a annoncé lancer des mesures contre le site de prise de rendez-vous. En cause : des pratiques commerciales trompeuses, alors que des praticiens sont présentés comme « de confiance » en dépit de toute formation certifiée. « Certaines de ces pratiques disponibles sur Médoucine sont de l’exercice illégal de la médecine », confiait ainsi à Marianne Bruno Boyer, président de la section santé publique du Conseil national de l'ordre des Médecins (CNOM), en novembre dernier.

OBLIGATION DE MODIFICATION DU SITE
« Le site Internet https://www.medoucine.com, exploité par la SAS GOODMOON, fait l'objet d'une mesure d'injonction de la Direction Départementale de la Protection des Populations de Seine-et-Marne », peut-on lire sur le site de la répression des fraudes (DGCCRF), organe du ministère de l'Economie. Objectif de la mesure : que la plateforme de prise de rendez-vous « cesse des pratiques commerciales trompeuses ». L’alerte porte sur deux points, sur lesquels Médoucine a l’obligation de revenir. D’un côté, la diffusion « des allégations sur son site laissant croire aux utilisateurs de la plateforme en ligne que l'exercice de l'acupuncture peut être réalisé par des professionnels » autres que ceux qui y sont autorisés par le code de la Santé publique.

De l'autre, l’inscription sur le réseau « médoucine.com » de « professionnels ne disposant pas des qualifications requises » en les présentant pourtant comme « praticiens de confiance ». En effet, l’article 4161-1 du Code de Santé Publique souligne que la pose d’un diagnostic par une personne n’étant pas qualifiée pour ou la réalisation de certains actes (comme l’acupuncture) relève de l’exercice illégal de la médecine. Pourtant, plusieurs dizaines de praticiens référencés sur Médoucine proposent des séances d’acupuncture ou des protocoles qui s’apparentent clairement à un diagnostic.

PRATIQUES MÉDICALES INTERDITES
« Médoucine se vante d’avoir des praticiens certifiés, de confiance, alors que certains d’entre eux exercent en réalité illégalement la médecine et que plusieurs centaines font usage de méthodes de soins charlatanesques », fustige Mathieu Repiquet, membre du collectif FakeMed qui alerte sur les pratiques médicales non conventionnelles. Au long d’une enquête de plusieurs mois sur la plateforme, il a notamment montré qu’une naturopathe recensée sur Médoucine, Marianne Kardasz, assure sur son site Internet pouvoir diagnostiquer des cancers grâce à la thérapie quantique.

« Lors de mon enquête, j’ai aussi montré que Médoucine expliquait à ses praticiens comment continuer à pratiquer l’acupuncture sans être inquiétés », continue Mathieu Repiquet. Une pratique pourtant réservée aux médecins, sages-femmes et chirurgiens-dentistes diplômés. Cette première démarche administrative est selon lui « réjouissante, puisque Médoucine bénéficiait jusque-là d’une impunité totale, bien qu’insuffisante », : il espère notamment des condamnations pénales. Et d'espérer : « C’est probablement la première alerte d’un long périple judiciaire pour Médoucine et ses charlatans ».

Médoucine : chez le Doctolib des médecines douces, l'argent passe avant la santé

Par Margot Brunet et Emilien Hertement pour Marianne du 19/11/2021

Fondé en 2016, Médoucine ressemble à un Doctolib des médecines douces. Mais le site de prise de rendez-vous apparaît plus enclin à développer à tout prix son modèle économique qu’à se soucier des pratiques proposées par ses « praticiens certifiés ».
« Nous, on aime beaucoup passer à l’action chez Médoucine », lance Nolwenn Thomazeau à la fin d'un séminaire en ligne, mercredi 27 octobre. Cette spécialiste en communication digitale vient d’animer durant près d’une heure une séance sur le thème « développer son cabinet de thérapeute efficacement » devant plus de 300 personnes. À l'origine de l’événement gratuit : Médoucine, une start-up créée en 2016 et considérée comme le « Doctolib de la médecine douce ». La plateforme en ligne permet des prises de rendez-vous pour des consultations de naturopathie, méditation en pleine conscience, reiki [un « art énergétique » d'origine japonaise] ou encore de sophrologie. Elle se propose également de former les thérapeutes à affiner leurs techniques commerciales et élargir leur clientèle.

L’intervenante du jour propose d’ailleurs à ceux qui le souhaitent de poursuivre, cette fois avec l’une des formations payantes proposées par le site : comptez entre 1 200 et 1 490 euros pour se « professionnaliser ». La start-up se présente ainsi comme « le réseau des meilleurs thérapeutes français », sur lequel les clients peuvent trouver des « praticiens certifiés en médecine douce ». Une (belle) promesse gagnante : la plateforme revendique à ce jour près de 2000 praticiens référencés et plus de 25 000 prises de rendez-vous par mois.

Si l’entreprise ne souhaite pas communiquer son chiffre d’affaires, Solange Arnaud, la polytechnicienne à sa tête, l’assure : « on a eu une forte progression depuis la crise sanitaire, de plus en plus de personnes souhaitent se former, notre but c’est de les accompagner dans l’entreprenariat. » Et c’est d’ailleurs la raison d’être de Médoucine : développer un modèle économique bien rodé… au détriment de la qualité des thérapies et des informations que son site propose.

« AIMANT À CLIENT »

Car derrière un langage commercial bien huilé, se cache une véritable machine à engranger des profits. Médoucine propose un abonnement à 119 euros par mois (comptez aussi 250 euros de frais d’inscription) à tous les praticiens qu'elle référence. Une sophrologue du réseau contactée par Marianne l’avoue : « en payant, on obtient une certification, on est référencé et on a un agenda en ligne donc ça peut être pratique. Mais je suis globalement déçue. Pour eux, il faudrait faire de la communication tout le temps. » Selon elle, son nombre de patients n’a pas augmenté grâce au réseau. Un constat partagé par d’autres praticiens.

Pourtant, un des modules de formation de Médoucine se propose de « créer un aimant à client ». Vaste programme pour un site se présentant comme une offre médicale. « C’est tout le paradoxe de notre domaine, on ne peut pas avoir des patients, parce qu’on n’a pas le droit de les appeler ainsi puisque ce sont des pratiques non reconnues », justifie Solange Arnaud. Médoucine promet donc à ses « clients » une entrevue avec des praticiens certifiés grâce à « une série de critères de qualité », élaborés avec « des médecins et thérapeutes de médecines douces ». Mais sur les 25 salariés de la plateforme, pas un seul n’a reçu de formation en médecine, reconnaît Solange Arnaud, qui ajoute : « notre processus de recrutement reste très administratif, on ne fait pas d’entretiens approfondis. On échange par téléphone avec les praticiens, ils nous envoient des informations sur leurs certifications et on les vérifie. »

FAUX CERTIFICAT

Vraiment ? Fantine, interne en médecine qui tient la chaîne Youtube de vulgarisation médicale Fantine & Hippocrate, s’est fait passer pendant plusieurs semaines pour une naturopathe souhaitant être référencée sur Médoucine. « J’ai bidouillé rapidement un faux certificat et c’est passé : j’ai pu aller jusqu’à l’étape de paiement pour m’inscrire », raconte-t-elle à Marianne.

La fausse naturopathe a également demandé si elle pouvait mentionner sur son profil la pratique du « Yahis Idoni, une médecine inca que j'ai apprise lors d'un voyage au Mexique auprès du maître Millana Kgari ». Réponse d’un membre de Médoucine : « vous pouvez les mentionner sur votre profil ». Sauf que… cette pratique n’existe pas. « Ils demandent aussi à ce que l’on soit diplômé depuis plus de deux ans et qu’on ait exercé plus de 1 200 heures… Mais ce n’est que du déclaratif, ils ne vérifient pas », constate Fantine.

Un manque de vérification qui pourrait coûter cher à la plateforme. « Certaines de ces pratiques disponibles sur Médoucine sont de l’exercice illégal de la médecine, d’autres éloignent du parcours de soins et sont donc responsables d’une perte de chance face à l’évolution de la maladie. Parfois, elles sont dangereuses, ou peuvent relever de la fraude car elles sont inefficaces… », liste Bruno Boyer, président de la section santé publique du Conseil national de l'ordre des Médecins (CNOM). La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a d'ailleurs été sollicitée à trois reprises à propos de Médoucine : une fois en 2020 et deux fois en 2021. L’Ordre des médecins précise à Marianne avoir été également alerté récemment à ce sujet et dit « apporter toute sa vigilance à cette question » mais ne pas avoir « les moyens de faire la veille d’Internet tous les matins » à propos de ce genre de plateformes.

DÉSINFORMATION MÉDICALE

Car pour devenir un acteur incontournable des thérapies non conventionnelles, Médoucine étend aussi son influence en ligne. La plateforme publie notamment sur Passeport Santé , le site d'information sur la santé, des articles en tant que « spécialiste des médecines douces », très bien référencés sur Google : tapez « reiki » sur Internet, vous tomberez sur le contenu publié par Médoucine sur Passeport Santé dès les premiers résultats. Cette pratique de soins dits « énergétiques » est pointée du doigt par la Miviludes à la suite de « témoignages accablants recueillis par les associations de victimes » de dérives sectaires.

Mathieu Repiquet, membre du collectif FakeMed qui alerte sur les pratiques médicales non conventionnelles, enquête depuis des mois sur la plateforme. Ses travaux montrent que pour la fiche sur l’homéopathie rédigée par Médoucine, seules les études favorables sont prises en compte. Cette pratique est ainsi présentée comme permettant de « rééquilibrer l’organisme en profondeur et non de seulement traiter les symptômes » au détriment des travaux scientifiques qui démontrent le contraire. « La prescription de traitements homéopathiques est réservée aux professionnels de santé », rappelle également Bruno Boyer.

Autre exemple : l'iridologie, méthode qui consiste à observer l’iris pour déterminer l’état de santé global d’un individu, est présentée sur Médoucine et ses blogs annexes comme une méthode de diagnostic permettant « de comprendre la maladie, son histoire et sa cause, et d’anticiper sur les aptitudes de guérison de l’organisme ». Une pratique qui s'apparente à un diagnostic médical. « Poser un diagnostic alors que l’on n’est pas médecin fait partie de l’exercice illégal de la médecine », insiste l’Ordre des médecins.

ALTERNATIF OU COMPLÉMENTAIRE ?

Sur ce point, Médoucine rétorque que les pratiques disponibles sur son site s’inscrivent en parallèle d’un parcours de soins et non en remplacement de la médecine traditionnelle. Pourtant, l’ayurvéda, une « médecine traditionnelle indienne », y est présenté comme traitant « tous les maux en profondeur » et ayant des bienfaits « aussi bien préventifs que curatifs ». Une vision davantage alternative que complémentaire à un parcours de soins. Bruno Boyer, à l’Ordre des médecins, insiste : « Il s’agit d’une information à caractère mensonger. Si des actes à visée curative ont lieu de manière répétée pendant les consultations, il s’agit d’exercice illégal de la médecine ».

Un avis partagé par la Miviludes qui rappelle que le principal risque des pratiques de soins non conventionnelles est d’exclure « tout recours à la médecine conventionnelle ». Solange Arnaud concède une nouvelle fois : « Retirer cette mention d’une méthode "curative" fait peut-être aussi partie des choses que nous devrions envisager ». Mais la dirigeante laisse entendre une certaine méfiance vis à vis de la médecine traditionnelle. « Elle n’a pas non plus fait ses preuves, ce sont simplement certains des outils qu’elle utilise qui ont été validés », assure-t-elle à Marianne.

La Miviludes rappelle également que les thérapies disponibles sur Médoucine « ne sont ni évaluées ni fondées scientifiquement ». L’entreprise affirme de son côté vouloir se doter d’un comité scientifique pour « définir les règles formellement » mais assure que sa création reste compliquée « à cause de toutes les spécialités présentées sur le site ». Pour l’instant, l'entreprise semble plutôt se concentrer sur la réussite de ses praticiens. Fantine, la fausse naturopathe, a même reçu un mail de Médoucine mentionnant que « si on n’a pas le moral, il nous est impossible de trouver des clients, faire de l’argent, se faire connaître ». Heureusement, la plateforme a une solution pour remonter le moral de ses praticiens : les « Rendez-vous Médoucine Boosting ». Prix : 180 euros le mois.



Rédigé le 29/10/2022 à 19:55 modifié le 29/10/2022


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