Anxiété, peur de ne pas être à la hauteur, repli sur soi, norme de performance... Les troubles sexuels évoqués lors des consultations sexologiques sont loin de la « sexualité de plaisir » prônée par l’OMS. L’hypnose et les thérapies brèves sont des outils pertinents pour faire face aux souffrances des patients.
L’hypnose et les thérapies brèves ont leur place dans les consultations sexo-thérapeutiques. Plusieurs difficultés sexuelles rencontrées par les patient(e)s, qu’elles soient d’origines organiques ou non, suscitent souvent une anxiété qui peut, dans certaines circonstances (hypnose négative, phénomènes de dissociation ou rôle du spectateur) devenir soit une problématique à traiter à côté d’autres (thérapie conjugale, symptômes organiques spécifiques...), soit la problématique principale. Dans certains cas, c’est l’anxiété qui est à la genèse des troubles sexuels. Evidence pour les thérapeutes : l’émotion est un nom mis sur un ressenti corporel qui est un signal automatique. Dans la sexualité, la peur est donc une émotion légitime, au même titre que les autres. Elle s’expérimente dans une interaction à soi, à l’autre, dans un contexte.
LE CONTEXTE NORMATIF
Fabian, 32 ans, arrive en consultation dépité. La semaine dernière, dans le vestiaire de la salle de sport dans laquelle il s’entraîne avec des amis, la discussion s’orientait sur la comptabilité du nombre d’orgasmes que ceux-ci parvenaient à donner à l’ensemble de leurs conquêtes (nombreuses évidemment). Lui, en couple depuis quelques années, ne parvient pas à retenir son éjaculation et ne sait même pas si sa copine a déjà eu un orgasme. Il ne se sent tout simplement pas à la hauteur.
Juliette, 53 ans, s’est remise en couple récemment après une longue première relation durant laquelle l’intimité sexuelle avait déserté la conjugalité. Surprise par la réémergence du désir et le redémarrage d’une sexualité vivace, elle arrive en consultation angoissée à l’idée de ne pas parvenir à l’orgasme par pénétration de son partenaire comme les autres femmes, pense-t-elle.
Christophe, 21 ans, expérimente pour ses premières relations sexuelles avec une voisine de résidence universitaire, la revisite en long et en large du Kama-sutra. Lors d’une soirée de discussion (café-sexo) sur le désir, il évoque, soutenu par une bande d’amis, son inquiétude profonde à la rencontre d’une nouvelle copine car s’il faut à chaque fois faire tout ça, il n’y arrivera jamais. Dans le modèle actuel de la sexualité, l’épanouissement personnel et conjugal est devenu un impératif de l’accès au bonheur. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a intégré la dimension de plaisir au concept de santé sexuelle dans les années 1970 et les médias de masse regorgent d’informations de pertinences variables pour améliorer tantôt les capacités érotiques, le registre des pratiques, tantôt la satisfaction personnelle ou celle du partenaire, afin d’accéder à la plénitude.
La fable de la sexualité épanouie, apaisée, inventive, audacieuse, décontractée (Kaufmann, 2020) accessible à tous cache en fait les absents du tableau idyllique. Pour beaucoup de patients, l’anxiété se développe dans un rapport à une norme de performance qu’ils perçoivent comme idéale, qui leur échappe et leur donne souvent l’impression d’être les seuls à ne pas y arriver. Parallèlement à cette évolution, la sexualité de plaisir fait aussi figure d’exception dans le domaine de l’apprentissage car elle touche à l’intime, la pudeur, et reste marquée par les tabous. La référence à la normalité est souvent implicite dans les consultations parce que les patients sont peu ou mal renseignés depuis le plus jeune âge et vont parfois vivre leurs ressentis et vécus sexuels dans la honte et la culpabilité.
LE REGARD D’AUTRUI
Il n’échappera pas à l’oeil attentif que la notion de performance s’exerce surtout sous le regard de l’autre.
Jan, 35 ans, est en couple depuis dix ans. Il évoque de manière générale et diffuse la peur qu’il ressent à l’idée de décevoir les autres. Selon ses dires, la sexualité du couple n’a jamais été satisfaisante et sa compagne lui annonce vouloir faire le deuil d’une sexualité épanouissante. Il est accablé par la déception qu’il lit dans son regard à chaque rencontre intime et cela éveille la crainte de perte et de trahison qui l’envahit alors. Il raconte les stratégies diverses qu’il met en place pour éviter de devoir faire face à cette intimité.
Mélissa, 27 ans, est en couple depuis huit ans. Les projets du couple se dessinent petit à petit mais pas assez vite à son goût. Les relations à deux sont décrites comme positives avec un maintien d’activités plaisantes. C’est toute autre chose quand il s’agit de relations sexuelles, car Mélissa ressent son désir s’étioler de plus en plus malgré, dit-elle, un compagnon patient et compréhensif. Elle fond en larmes et exprime la peur de le perdre s’ils ne font plus l’amour, son incapacité à vivre sans lui. De discussions avec sa mère, elle apprend que cette dernière a toujours envisagé la sexualité comme une corvée, ce qu’elle interprète comme la raison majeure du divorce de ses parents. Elle anticipe avec appréhension le moindre rapprochement affectif.
Cathy, 21 ans, évoque un parcours dans une sexualité chaotique qui débute dans son enfance avec un père tyrannique et abusif. Plusieurs tentatives de mise en couple se sont soldées par des transgressions de ses limites par ses partenaires (harcèlements, viols). Elle précise que dans ces couples, elle ressentait une dépendance affective reliée à une peur majeure de l’abandon minimisant de ce fait la gravité des vécus subis. Le climat conjugal entourant la sexualité influence grandement l’accès à une intimité suffisamment sécurisante et qui laisse la place à l’autonomie et la distance entre les deux partenaires pour rester érotique.
A travers ces vignettes, on perçoit à quel point la relation à l’autre peut être vécue comme dangereuse et non coopérative.
A travers divers apprentissages, dans des expériences antérieures ou avec un partenaire actuel, se construit une relation particulière à la sexualité de type rivalitaire. La peur (de perdre l’autre, de perdre la relation en ne répondant pas aux attentes réelles ou fantasmées, la peur d’être jugé dans ses comportements, ses désirs) est palpable dans les situations rencontrées. L’utopie d’une sécurité totale de la relation fait surface. Dans ces extrêmes, l’attitude des partenaires oscille également entre refoulement des désirs (par incapacité à évoquer le problème au risque de le voir ressurgir plus tard, plus fort) et revendication impérative, accablement du partenaire, et/ou menace jusqu’à parfois franchir les limites du consentement.
RELATION À SOI
Les patients confrontés à des difficultés qui suscitent une peur anticipatoire arrivent souvent assez tardivement après de nombreuses tentatives de solutions, de découragements, et sont régulièrement abîmés dans l’estime d’eux-mêmes. Ils sont déconnectés de leurs ressources et débordés par les cognitions négatives :
- « C’est plus fort que moi » ;
- « Ça tourne en boucle dans ma tête » ;
- « Ma vie est gâchée », « je n’y arriverai pas » ;
- « Je ne serai jamais à la hauteur » ;
- « Je suis nul(le) » ;
- « Il/elle va me quitter » ;
- « C’est trop tard » ;
- « Je suis anormal ».
Les tentatives de solutions s’orientent régulièrement vers l’évitement et le repli sur soi. Les rapprochements sexuels se raréfient et mettent à mal progressivement toute la sphère intime et relationnelle. La dissociation de soi s’accompagne d’une distanciation de l’autre. La demande initiale du patient en consultation est parfois la suppression pure et simple de l’émotion qui fait souffrir :
- « Enlevez-moi cette sensation, je ne la supporte plus » ;
- « Je ne veux plus jamais avoir peur ». Elle tend vers l’utopie d’une sécurité totale :
- « Je veux être sûr de ne jamais perdre l’autre » ;
- « Je veux réussir ceci ou cela dans 100 % des cas », dans une logique attendue en toute circonstance et focalisée sur une performance.
Dans les consultations sexologiques, préalablement à la démarche thérapeutique, il est nécessaire d’écarter l’hypothèse d’une dysfonction sexuelle d’origine principalement ou exclusivement médicale. Cependant, même dans ce cas le symptôme a pu prendre une place dans le fonctionnement du patient et/ou du couple et nécessitera une prise en charge thérapeutique malgré la disparition du problème d’origine organique.
Actuellement, les sexologues ne considèrent plus l’anxiété et l’excitation sexuelle comme des états incompatibles : l’anxiété tantôt inhibe, tantôt facilite l’excitation. Chez certains individus, l’anxiété tend à renforcer l’excitation car elle accroît l’attention portée aux stimuli érotiques et les modifications corporelles sont perçues comme ayant une origine sexuelle. L’influence des cognitions négatives et de danger apparaît décisive de l’effet inhibiteur chez certains patients car leur attention se déplace vers des stimuli à caractère érotique (Kempeneers, Barbier, 2008). Pour accéder à une « sphère sensuelle » orientée vers le plaisir et dans l’autonomie, l’acceptation des pensées (notamment les fantaisies), émotions, sensations et expériences pleines, plutôt que leur évitement, est fondamental.
La plainte initiale dans laquelle l’anxiété va avoir une part non négligeable peut con - cerner différentes phases de la réponse sexuelle (désir, excitation, orgasme). Audelà de la sexothérapie ou thérapie conjugale, le travail sur l’anxiété peut s’avérer central pour avancer dans les objectifs du patient et/ou du couple.
Un autre enjeu important du travail sexologique : le recadrage de cognitions erronées. Il est fréquent que les patients pensent disposer par leur volonté (défaillante du coup) du contrôle sur leurs réactions corporelles alors que celles-ci ne sont majoritairement pas sous le contrôle des cognitions. En bref, ce n’est pas parce que « je veux ou qu’il faut bander » que le processus s’enclenche, mais uniquement par la focalisation sur les différents stimuli érotiques propres à chaque individu (visuels, auditifs, réservoir à fantaisies sexuelles, sensoriels...).
PISTES THÉRAPEUTIQUES
Lucrèce et Jean-Paul, respectivement 60 et 62 ans, vivent en couple depuis quarante-cinq ans. Dans leur couple, ils ont toujours entretenu une relation vivace à l’intimité et la sexualité malgré les aléas de la vie. Lorsque que l’on fait la ligne du temps de leur sexualité, Lucrèce a vécu des baisses de désir et Jean-Paul évoque des premières pannes érectiles à 50 ans, comme tout le monde se disent-ils. Tous les deux d’un naturel optimiste, ils ont toujours su plaisanter de ces situations malgré le stress qu’ils reconnaissent avoir vécu. La difficulté n’était pas niée, ni les perceptions et vécus différents. Le respect et la confiance mutuels, l’expression de leur vécu leur a permis de retrouver de manière créative le chemin de la sensualité, de l’érotisme, de la sexualité. Face au ressenti corporel de la peur, le patient cherche ses ressources de sécurité en lui-même, dans la relation à autrui, dans une représentation du monde qui lui est propre. Il s’adapte en restant associé à ses ressources de sécurité. Le couple accueille les expériences de vie pleine, dans une intention collaborative. Il permet alors la différenciation, la liberté et l’autonomie relationnelle.
LA PREMIÈRE CONSULTATION : TRAVAIL SUR LA DISSOCIATION
Milton Erickson nous apprend que le thérapeute est le contexte de changement. Dans la position de thérapeute, il s’agit de créer un espace de sécurité (à soi, à l’autre, au monde) dans lequel le patient va pouvoir faire une « expérience émotionnelle correctrice » à travers quatre paramètres (actions, pensées, émotions, corps). Ainsi peut naître une collaboration entre le sujet et le thérapeute. La création d’un lien sécure est fondamentale en sexologie comme en hypnose. La synchronisation à la respiration, la gestuelle, les sourires... tout comme la clarté dans les attitudes et le respect des territoires physiques et psychiques permettent d’établir une relation de confiance.
Pour travailler sur la définition de l’objectif commun (non utopique et plein de vie), on ratifie préalablement la souffrance du patient. C’est aussi la voie royale de l’induction puisqu’il s’agit d’un état d’hypnose négatif que le patient connaît parfaitement. L’expérience thérapeutique permet de rompre les boucles dysfonctionnelles en s’appuyant sur les ressources internes et externes du patient et créer un monde relationnel plus adapté.
LE COGNITIF GÈRE L’AFFECT
Les ruminations mentales et questionnements évoqués au premier entretien sont souvent des concepts creux : - « Je dois bander » ; - « Il faut que je fasse l’amour plus souvent » ; - « Je veux retenir mon éjaculation plus longtemps » ; - « Je ne suis pas à la hauteur ». Les tentatives de solutions s’orientent vers l’évitement de l’émotion, de la sensation plutôt que des expériences de vie relationnelle. C’est l’objet d’un premier recadrage permettant de redéfinir la demande initiale et de travailler sur la motivation : - « Votre objectif est-il de devenir un amant performant ou de passer un moment de partage riche et intense avec votre partenaire ? » Pour éviter que le patient ne s’imagine que le problème va se régler sans lui et qu’il comprenne que la transformation se fera par la connexion à ses propres ressources, je le questionne souvent de la manière suivante : - « De combien de temps avez-vous eu besoin pour apprendre à lire, à nager ou à rouler en voiture ? » - « Avez-vous eu peur parfois ? »
- « Que pourrait-il arriver si en début d’apprentissage vous n’aviez pas du tout peur ? » - « Par ailleurs, avez-vous appris cela exclusivement à travers des livres ou en expérimentant par vos actions et vos sens ? » - « Enfin, avez-vous pu compter sur des personnes pour vous y aider ou l’apprentissage s’est-il fait exclusivement seul ? »
Je raconte aussi l’une ou l’autre métaphore avec force et détails que je décris à travers différents paramètres (Action, Pensée, Emotion, Corps) convoquant une expérience pleine, collaborative, favorisant l’autonomie : « Je me souviens de la joie et aussi de la peur d’une mère accroupie face à son enfant alors qu’il fait ses premiers pas seul. Les déséquilibres que l’enfant ressent suscitent sur son visage des mimiques oscillant entre crainte et fierté. Et chaque mouvement nécessite tant de processus complexes en lui pour maintenir son équilibre... Il finit son périple, réceptionné par les bras rassurants de sa mère. » Je rappelle « la fierté d’un père lorsque son enfant devenu jeune adulte avait réussi son permis de conduire malgré les heures d’efforts préalables accompagnés parfois de larmes et d’irritations ».
J’invite aussi parfois mes patients à regarder une petite vidéo que j’apprécie et qui me fait beaucoup rire (« Monsieur Ramesh et la peur ») car elle permet de recadrer avec humour la relation à la peur : accepter de trembler, d’entrer dans la peur avant de vouloir à tout prix en sortir, « Tremble, félicitations, tu es vivant ». Dans la peur, il y a toujours une cognition à recadrer. Les patients veulent se débarrasser des sensations douloureuses, des émotions désagréables ou insupportables souvent à travers l’évitement. Or, que serait la vie sans la peur car celle-ci a vocation à la mise en action (dans la fuite ou la con frontation). La peur permet de protéger l’individu de situations dangereuses (elle nous sauve parfois) et s’exprime également face à un événement qui a de l’importance pour nous et qui se rapproche de nos valeurs essentielles dans la vie.
L’UTOPIE ET LE DÉDOUBLEMENT DE L’ÉMOTION
Pour lire la suite de l’article et commander la Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°63
L’hypnose et les thérapies brèves ont leur place dans les consultations sexo-thérapeutiques. Plusieurs difficultés sexuelles rencontrées par les patient(e)s, qu’elles soient d’origines organiques ou non, suscitent souvent une anxiété qui peut, dans certaines circonstances (hypnose négative, phénomènes de dissociation ou rôle du spectateur) devenir soit une problématique à traiter à côté d’autres (thérapie conjugale, symptômes organiques spécifiques...), soit la problématique principale. Dans certains cas, c’est l’anxiété qui est à la genèse des troubles sexuels. Evidence pour les thérapeutes : l’émotion est un nom mis sur un ressenti corporel qui est un signal automatique. Dans la sexualité, la peur est donc une émotion légitime, au même titre que les autres. Elle s’expérimente dans une interaction à soi, à l’autre, dans un contexte.
LE CONTEXTE NORMATIF
Fabian, 32 ans, arrive en consultation dépité. La semaine dernière, dans le vestiaire de la salle de sport dans laquelle il s’entraîne avec des amis, la discussion s’orientait sur la comptabilité du nombre d’orgasmes que ceux-ci parvenaient à donner à l’ensemble de leurs conquêtes (nombreuses évidemment). Lui, en couple depuis quelques années, ne parvient pas à retenir son éjaculation et ne sait même pas si sa copine a déjà eu un orgasme. Il ne se sent tout simplement pas à la hauteur.
Juliette, 53 ans, s’est remise en couple récemment après une longue première relation durant laquelle l’intimité sexuelle avait déserté la conjugalité. Surprise par la réémergence du désir et le redémarrage d’une sexualité vivace, elle arrive en consultation angoissée à l’idée de ne pas parvenir à l’orgasme par pénétration de son partenaire comme les autres femmes, pense-t-elle.
Christophe, 21 ans, expérimente pour ses premières relations sexuelles avec une voisine de résidence universitaire, la revisite en long et en large du Kama-sutra. Lors d’une soirée de discussion (café-sexo) sur le désir, il évoque, soutenu par une bande d’amis, son inquiétude profonde à la rencontre d’une nouvelle copine car s’il faut à chaque fois faire tout ça, il n’y arrivera jamais. Dans le modèle actuel de la sexualité, l’épanouissement personnel et conjugal est devenu un impératif de l’accès au bonheur. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a intégré la dimension de plaisir au concept de santé sexuelle dans les années 1970 et les médias de masse regorgent d’informations de pertinences variables pour améliorer tantôt les capacités érotiques, le registre des pratiques, tantôt la satisfaction personnelle ou celle du partenaire, afin d’accéder à la plénitude.
La fable de la sexualité épanouie, apaisée, inventive, audacieuse, décontractée (Kaufmann, 2020) accessible à tous cache en fait les absents du tableau idyllique. Pour beaucoup de patients, l’anxiété se développe dans un rapport à une norme de performance qu’ils perçoivent comme idéale, qui leur échappe et leur donne souvent l’impression d’être les seuls à ne pas y arriver. Parallèlement à cette évolution, la sexualité de plaisir fait aussi figure d’exception dans le domaine de l’apprentissage car elle touche à l’intime, la pudeur, et reste marquée par les tabous. La référence à la normalité est souvent implicite dans les consultations parce que les patients sont peu ou mal renseignés depuis le plus jeune âge et vont parfois vivre leurs ressentis et vécus sexuels dans la honte et la culpabilité.
LE REGARD D’AUTRUI
Il n’échappera pas à l’oeil attentif que la notion de performance s’exerce surtout sous le regard de l’autre.
Jan, 35 ans, est en couple depuis dix ans. Il évoque de manière générale et diffuse la peur qu’il ressent à l’idée de décevoir les autres. Selon ses dires, la sexualité du couple n’a jamais été satisfaisante et sa compagne lui annonce vouloir faire le deuil d’une sexualité épanouissante. Il est accablé par la déception qu’il lit dans son regard à chaque rencontre intime et cela éveille la crainte de perte et de trahison qui l’envahit alors. Il raconte les stratégies diverses qu’il met en place pour éviter de devoir faire face à cette intimité.
Mélissa, 27 ans, est en couple depuis huit ans. Les projets du couple se dessinent petit à petit mais pas assez vite à son goût. Les relations à deux sont décrites comme positives avec un maintien d’activités plaisantes. C’est toute autre chose quand il s’agit de relations sexuelles, car Mélissa ressent son désir s’étioler de plus en plus malgré, dit-elle, un compagnon patient et compréhensif. Elle fond en larmes et exprime la peur de le perdre s’ils ne font plus l’amour, son incapacité à vivre sans lui. De discussions avec sa mère, elle apprend que cette dernière a toujours envisagé la sexualité comme une corvée, ce qu’elle interprète comme la raison majeure du divorce de ses parents. Elle anticipe avec appréhension le moindre rapprochement affectif.
Cathy, 21 ans, évoque un parcours dans une sexualité chaotique qui débute dans son enfance avec un père tyrannique et abusif. Plusieurs tentatives de mise en couple se sont soldées par des transgressions de ses limites par ses partenaires (harcèlements, viols). Elle précise que dans ces couples, elle ressentait une dépendance affective reliée à une peur majeure de l’abandon minimisant de ce fait la gravité des vécus subis. Le climat conjugal entourant la sexualité influence grandement l’accès à une intimité suffisamment sécurisante et qui laisse la place à l’autonomie et la distance entre les deux partenaires pour rester érotique.
A travers ces vignettes, on perçoit à quel point la relation à l’autre peut être vécue comme dangereuse et non coopérative.
A travers divers apprentissages, dans des expériences antérieures ou avec un partenaire actuel, se construit une relation particulière à la sexualité de type rivalitaire. La peur (de perdre l’autre, de perdre la relation en ne répondant pas aux attentes réelles ou fantasmées, la peur d’être jugé dans ses comportements, ses désirs) est palpable dans les situations rencontrées. L’utopie d’une sécurité totale de la relation fait surface. Dans ces extrêmes, l’attitude des partenaires oscille également entre refoulement des désirs (par incapacité à évoquer le problème au risque de le voir ressurgir plus tard, plus fort) et revendication impérative, accablement du partenaire, et/ou menace jusqu’à parfois franchir les limites du consentement.
RELATION À SOI
Les patients confrontés à des difficultés qui suscitent une peur anticipatoire arrivent souvent assez tardivement après de nombreuses tentatives de solutions, de découragements, et sont régulièrement abîmés dans l’estime d’eux-mêmes. Ils sont déconnectés de leurs ressources et débordés par les cognitions négatives :
- « C’est plus fort que moi » ;
- « Ça tourne en boucle dans ma tête » ;
- « Ma vie est gâchée », « je n’y arriverai pas » ;
- « Je ne serai jamais à la hauteur » ;
- « Je suis nul(le) » ;
- « Il/elle va me quitter » ;
- « C’est trop tard » ;
- « Je suis anormal ».
Les tentatives de solutions s’orientent régulièrement vers l’évitement et le repli sur soi. Les rapprochements sexuels se raréfient et mettent à mal progressivement toute la sphère intime et relationnelle. La dissociation de soi s’accompagne d’une distanciation de l’autre. La demande initiale du patient en consultation est parfois la suppression pure et simple de l’émotion qui fait souffrir :
- « Enlevez-moi cette sensation, je ne la supporte plus » ;
- « Je ne veux plus jamais avoir peur ». Elle tend vers l’utopie d’une sécurité totale :
- « Je veux être sûr de ne jamais perdre l’autre » ;
- « Je veux réussir ceci ou cela dans 100 % des cas », dans une logique attendue en toute circonstance et focalisée sur une performance.
Dans les consultations sexologiques, préalablement à la démarche thérapeutique, il est nécessaire d’écarter l’hypothèse d’une dysfonction sexuelle d’origine principalement ou exclusivement médicale. Cependant, même dans ce cas le symptôme a pu prendre une place dans le fonctionnement du patient et/ou du couple et nécessitera une prise en charge thérapeutique malgré la disparition du problème d’origine organique.
Actuellement, les sexologues ne considèrent plus l’anxiété et l’excitation sexuelle comme des états incompatibles : l’anxiété tantôt inhibe, tantôt facilite l’excitation. Chez certains individus, l’anxiété tend à renforcer l’excitation car elle accroît l’attention portée aux stimuli érotiques et les modifications corporelles sont perçues comme ayant une origine sexuelle. L’influence des cognitions négatives et de danger apparaît décisive de l’effet inhibiteur chez certains patients car leur attention se déplace vers des stimuli à caractère érotique (Kempeneers, Barbier, 2008). Pour accéder à une « sphère sensuelle » orientée vers le plaisir et dans l’autonomie, l’acceptation des pensées (notamment les fantaisies), émotions, sensations et expériences pleines, plutôt que leur évitement, est fondamental.
La plainte initiale dans laquelle l’anxiété va avoir une part non négligeable peut con - cerner différentes phases de la réponse sexuelle (désir, excitation, orgasme). Audelà de la sexothérapie ou thérapie conjugale, le travail sur l’anxiété peut s’avérer central pour avancer dans les objectifs du patient et/ou du couple.
Un autre enjeu important du travail sexologique : le recadrage de cognitions erronées. Il est fréquent que les patients pensent disposer par leur volonté (défaillante du coup) du contrôle sur leurs réactions corporelles alors que celles-ci ne sont majoritairement pas sous le contrôle des cognitions. En bref, ce n’est pas parce que « je veux ou qu’il faut bander » que le processus s’enclenche, mais uniquement par la focalisation sur les différents stimuli érotiques propres à chaque individu (visuels, auditifs, réservoir à fantaisies sexuelles, sensoriels...).
PISTES THÉRAPEUTIQUES
Lucrèce et Jean-Paul, respectivement 60 et 62 ans, vivent en couple depuis quarante-cinq ans. Dans leur couple, ils ont toujours entretenu une relation vivace à l’intimité et la sexualité malgré les aléas de la vie. Lorsque que l’on fait la ligne du temps de leur sexualité, Lucrèce a vécu des baisses de désir et Jean-Paul évoque des premières pannes érectiles à 50 ans, comme tout le monde se disent-ils. Tous les deux d’un naturel optimiste, ils ont toujours su plaisanter de ces situations malgré le stress qu’ils reconnaissent avoir vécu. La difficulté n’était pas niée, ni les perceptions et vécus différents. Le respect et la confiance mutuels, l’expression de leur vécu leur a permis de retrouver de manière créative le chemin de la sensualité, de l’érotisme, de la sexualité. Face au ressenti corporel de la peur, le patient cherche ses ressources de sécurité en lui-même, dans la relation à autrui, dans une représentation du monde qui lui est propre. Il s’adapte en restant associé à ses ressources de sécurité. Le couple accueille les expériences de vie pleine, dans une intention collaborative. Il permet alors la différenciation, la liberté et l’autonomie relationnelle.
LA PREMIÈRE CONSULTATION : TRAVAIL SUR LA DISSOCIATION
Milton Erickson nous apprend que le thérapeute est le contexte de changement. Dans la position de thérapeute, il s’agit de créer un espace de sécurité (à soi, à l’autre, au monde) dans lequel le patient va pouvoir faire une « expérience émotionnelle correctrice » à travers quatre paramètres (actions, pensées, émotions, corps). Ainsi peut naître une collaboration entre le sujet et le thérapeute. La création d’un lien sécure est fondamentale en sexologie comme en hypnose. La synchronisation à la respiration, la gestuelle, les sourires... tout comme la clarté dans les attitudes et le respect des territoires physiques et psychiques permettent d’établir une relation de confiance.
Pour travailler sur la définition de l’objectif commun (non utopique et plein de vie), on ratifie préalablement la souffrance du patient. C’est aussi la voie royale de l’induction puisqu’il s’agit d’un état d’hypnose négatif que le patient connaît parfaitement. L’expérience thérapeutique permet de rompre les boucles dysfonctionnelles en s’appuyant sur les ressources internes et externes du patient et créer un monde relationnel plus adapté.
LE COGNITIF GÈRE L’AFFECT
Les ruminations mentales et questionnements évoqués au premier entretien sont souvent des concepts creux : - « Je dois bander » ; - « Il faut que je fasse l’amour plus souvent » ; - « Je veux retenir mon éjaculation plus longtemps » ; - « Je ne suis pas à la hauteur ». Les tentatives de solutions s’orientent vers l’évitement de l’émotion, de la sensation plutôt que des expériences de vie relationnelle. C’est l’objet d’un premier recadrage permettant de redéfinir la demande initiale et de travailler sur la motivation : - « Votre objectif est-il de devenir un amant performant ou de passer un moment de partage riche et intense avec votre partenaire ? » Pour éviter que le patient ne s’imagine que le problème va se régler sans lui et qu’il comprenne que la transformation se fera par la connexion à ses propres ressources, je le questionne souvent de la manière suivante : - « De combien de temps avez-vous eu besoin pour apprendre à lire, à nager ou à rouler en voiture ? » - « Avez-vous eu peur parfois ? »
- « Que pourrait-il arriver si en début d’apprentissage vous n’aviez pas du tout peur ? » - « Par ailleurs, avez-vous appris cela exclusivement à travers des livres ou en expérimentant par vos actions et vos sens ? » - « Enfin, avez-vous pu compter sur des personnes pour vous y aider ou l’apprentissage s’est-il fait exclusivement seul ? »
Je raconte aussi l’une ou l’autre métaphore avec force et détails que je décris à travers différents paramètres (Action, Pensée, Emotion, Corps) convoquant une expérience pleine, collaborative, favorisant l’autonomie : « Je me souviens de la joie et aussi de la peur d’une mère accroupie face à son enfant alors qu’il fait ses premiers pas seul. Les déséquilibres que l’enfant ressent suscitent sur son visage des mimiques oscillant entre crainte et fierté. Et chaque mouvement nécessite tant de processus complexes en lui pour maintenir son équilibre... Il finit son périple, réceptionné par les bras rassurants de sa mère. » Je rappelle « la fierté d’un père lorsque son enfant devenu jeune adulte avait réussi son permis de conduire malgré les heures d’efforts préalables accompagnés parfois de larmes et d’irritations ».
J’invite aussi parfois mes patients à regarder une petite vidéo que j’apprécie et qui me fait beaucoup rire (« Monsieur Ramesh et la peur ») car elle permet de recadrer avec humour la relation à la peur : accepter de trembler, d’entrer dans la peur avant de vouloir à tout prix en sortir, « Tremble, félicitations, tu es vivant ». Dans la peur, il y a toujours une cognition à recadrer. Les patients veulent se débarrasser des sensations douloureuses, des émotions désagréables ou insupportables souvent à travers l’évitement. Or, que serait la vie sans la peur car celle-ci a vocation à la mise en action (dans la fuite ou la con frontation). La peur permet de protéger l’individu de situations dangereuses (elle nous sauve parfois) et s’exprime également face à un événement qui a de l’importance pour nous et qui se rapproche de nos valeurs essentielles dans la vie.
L’UTOPIE ET LE DÉDOUBLEMENT DE L’ÉMOTION
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BERTRAND JACQUES
Sexologue, thérapeute de couple, hypnothérapeute et formateur. Praticien en thérapies brèves, hypnose et MAP (Espace du Possible à Tournai). Thérapeute spécialisé à l’Unité de psychopathologie légale (UPPL). Cofondateur de l’asbl Tout sex’prime. Consultation à CentrEmergences à Tournai et au Centre hospitalier de Mouscron.
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N°63 : Novembre, Décembre 2021, Janvier 2022
Illustrations © Eishin Yoza
- Edito : Humaniser le lien - Julien Betbèze, rédacteur en chef
- Wilfrid Martineau nous apprend à surfer sur les métaphores, grâce à des exemples concrets de questionnement s’inscrivant dans l’imaginaire partagé. En s’attachant aux métaphores des patients, le thérapeute renforce le lien et active le changement.
- Marie Caiazzo nous indique comment les images d’une personne courageuse et forte peuvent remettre le corps en mouvement ; elle illustre cela avec le cas d’Annabelle, kiné victime d’inceste qui ne parvenait plus à toucher ses patients.
- Bertrand Jacques met en évidence les effets délétères des normes de performance dans la vie affective et sexuelle. A travers plusieurs exemples, il nous montre comment se déprendre du pouvoir des injonctions normatives intériorisées. Reconnecter les sujets à des relations sécures va ouvrir la voie à une expérience émotionnelle corrective, dans laquelle le sujet va se réapproprier sa subjectivité qui passe par l’acceptation de la peur et l’accueil des tremblements.
- Gérard Ostermann présente dans son édito deux articles sur l’utilisation de l’hypnose, en neurochirurgie éveillée (Séverine Gras) et sur la fibromyalgie (Laurent Schaller).
- Le dossier thématique «Humaniser le lien» reprend un échange de Julien Betbèze avec Eric Bardot autour de la dépression.
L’article souligne l’importance de la constitution de la relation pour accéder à la subjectivité. Cela passe par une attention à l’accordage et au partage affectif afin de diminuer l’effet des angoisses de mort liées au monde abandonnique.
- Le texte de Véronique Cohier-Rahban s’intéresse aux fantômes transgénérationnels chez les enfants atteints de troubles oppositionnels avec provocation (TOP) et de troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). L’auteure décrit comment, à travers l’histoire d’une famille, son intervention thérapeutique a permis l’accès à une tristesse partagée, condition de l’installation d’un lien rendant à chacun un espace d’expression.
- Adrian Chaboche : Aussi simple qu’un verre d’eau. Voir le patient comme une œuvre d’art favorise notre empathie et fait émerger le geste thérapeutique qui devient simple, présent.
- L’importance du lien est illustrée comme toujours avec humour par Stefano Colombo et Muhuc.
- Gérard Fitoussi interroge Jean-Jacques Wittezaele qui a introduit l’approche de Palo Alto dans l’Europe francophone. Il décrit son parcours autour de l’importance de la relation et son intérêt pour la culture chinoise qui donne une place prépondérante à la relation dans la construction du sens.
Illustrations © Eishin Yoza
- Edito : Humaniser le lien - Julien Betbèze, rédacteur en chef
- Wilfrid Martineau nous apprend à surfer sur les métaphores, grâce à des exemples concrets de questionnement s’inscrivant dans l’imaginaire partagé. En s’attachant aux métaphores des patients, le thérapeute renforce le lien et active le changement.
- Marie Caiazzo nous indique comment les images d’une personne courageuse et forte peuvent remettre le corps en mouvement ; elle illustre cela avec le cas d’Annabelle, kiné victime d’inceste qui ne parvenait plus à toucher ses patients.
- Bertrand Jacques met en évidence les effets délétères des normes de performance dans la vie affective et sexuelle. A travers plusieurs exemples, il nous montre comment se déprendre du pouvoir des injonctions normatives intériorisées. Reconnecter les sujets à des relations sécures va ouvrir la voie à une expérience émotionnelle corrective, dans laquelle le sujet va se réapproprier sa subjectivité qui passe par l’acceptation de la peur et l’accueil des tremblements.
- Gérard Ostermann présente dans son édito deux articles sur l’utilisation de l’hypnose, en neurochirurgie éveillée (Séverine Gras) et sur la fibromyalgie (Laurent Schaller).
- Le dossier thématique «Humaniser le lien» reprend un échange de Julien Betbèze avec Eric Bardot autour de la dépression.
L’article souligne l’importance de la constitution de la relation pour accéder à la subjectivité. Cela passe par une attention à l’accordage et au partage affectif afin de diminuer l’effet des angoisses de mort liées au monde abandonnique.
- Le texte de Véronique Cohier-Rahban s’intéresse aux fantômes transgénérationnels chez les enfants atteints de troubles oppositionnels avec provocation (TOP) et de troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). L’auteure décrit comment, à travers l’histoire d’une famille, son intervention thérapeutique a permis l’accès à une tristesse partagée, condition de l’installation d’un lien rendant à chacun un espace d’expression.
- Adrian Chaboche : Aussi simple qu’un verre d’eau. Voir le patient comme une œuvre d’art favorise notre empathie et fait émerger le geste thérapeutique qui devient simple, présent.
- L’importance du lien est illustrée comme toujours avec humour par Stefano Colombo et Muhuc.
- Gérard Fitoussi interroge Jean-Jacques Wittezaele qui a introduit l’approche de Palo Alto dans l’Europe francophone. Il décrit son parcours autour de l’importance de la relation et son intérêt pour la culture chinoise qui donne une place prépondérante à la relation dans la construction du sens.