Alain Giraud : Peut-on parler d'une prise en charge non médicamenteuse de la douleur, dans certains cas, par la sophrologie ?
Sylvie Lepage : La prise en charge non médicamenteuse de la douleur n'exclut pas du tout le traitement antalgique. Nous travaillons sur les facteurs qui modifient le seuil de tolérance de la douleur et potentialisent les traitements antalgiques. Chaque personne possède son propre seuil de tolérance qui dépend du vécu, de l'expérience du phénomène douloureux, de la connaissance de la cause, de la signification attribuée à la douleur, de l'état général physique, de l'état mental et émotionnel, de la personnalité, de l'éducation et de l'environnement. La relation d'aide est primordiale dans la connaissance, la reconnaissance de cette douleur. Les exercices en sophrologie permettant de trouver un moment de confort, de calme et un sommeil de meilleure qualité participent à l'augmentation du seuil de tolérance.
Pour augmenter ce seuil de tolérance, la visualisation axée sur l'utilisation de pensées positives ne joue-t-elle pas un rôle essentiel ?
SL : Le phénomène de distraction à travers des visualisations positives y participe également. Ces visualisations ont une action sur la composante affective, émotionnelle et comportementale. La mise entre parenthèses du problème permet de trouver un compromis de qualité de vie, un moment de mieux-être agréable pour se ressourcer. Des exercices de substitution d'une sensation par une autre peuvent être proposés, je pense particulièrement à une patiente très douloureuse au niveau du bas du dos et adorant l'eau " fraîche pour calmer la douleur " disait-elle. Je lui faisais visualiser une rivière de montagne pour la fraîcheur, s'asseoir les pieds dedans et laisser remonter la sensation jusqu'au bas du dos et mettre les mains dans cette eau fraîche et ensuite poser ses mains là où elle avait mal. La détente musculaire et la respiration abdominale ont une action sur la tension musculaire donc sur le mécanisme neurophysiologique de la douleur. L'expulsion du stress, de la douleur elle-même pure ou symbolisée est efficace pour certains. D'autres préféreront libérer des émotions.
Il y a trois étapes importantes pour aborder une séance de sophrologie : l'entretien pré-sophronique pour établir une " alliance " avec le patient, la sophronisation puis le dialogue post-sophronique. Comment abordez-vous cette prise en charge ?
SL : Pour illustrer, je vais vous parler de Mme C… âgée de 43 ans. Elle est mariée et mère de 3 enfants (11, 14 et 16 ans). Un diagnostic tardif de néo pulmonaire avec des métastases cérébrales a été posé il y a 6 mois. Mme C… est hospitalisée pour altération de l'état général et douleurs violentes. Depuis 6 mois, elle alterne chimio et radiothérapie. Mme C… est amaigrie, triste, résignée, repliée sur elle-même. Elle parle peu d'elle et de sa maladie et veut protéger ses enfants et son mari. La douleur est très forte dans toute la poitrine, elle a une toux spasmodique qui réveille à chaque fois la douleur, elle tousse parfois toute la nuit. Des maux de tête et des vertiges l'obligent à rester souvent couchée. Les morphiniques et autres traitements ne suffisent pas à la calmer. Je la rencontre dans ce cadre-là. Un premier entretien permet de mettre des " mots " sur ces maux. Rapidement elle ne me parle que de ses enfants, c'est " son moteur " dit-elle, elle voudrait les voir plus souvent mais il y a l'école, l'éloignement et déjà 15 jours d'hospitalisation. Je lui demande si les images de ses enfants pourraient être des images ressources: " pourquoi pas " dit-elle. Nous avions déjà travaillé ensemble sur la gestion de l'anxiété avec des exercices de déplacement du négatif. Je lui propose après une sophronisation de base de mobiliser ses ressources personnelles en laissant venir des images agréables et chaleureuses. Après la séance, elle partage son ressenti : des souvenirs heureux en famille, sa maison, son jardin, ses fleurs. Elle n'a pas toussé durant la séance et sourit. Elle a également posé la toux et la douleur à sa façon sur le déplacement du négatif. Nous enregistrons une cassette lui permettant de travailler plus souvent pour retrouver cette image d'ancrage.
Dix jours après, elle me dit pouvoir penser à ses enfants sans pleurer, le nouveau traitement antalgique commence à être efficace, elle ne tousse presque plus, elle continue d'utiliser la cassette. Mme C… est rentrée à domicile et reviendra dans trois semaines faire sa chimiothérapie, je la rencontrerai au cours de chaque chimiothérapie.
Vos propos mettent en évidence toute l'importance et la richesse de votre travail…
SL : L'accompagnement en soins palliatifs est un moment privilégié où la sophrologie a toute sa place notamment grâce à cet accompagnement présent depuis de longs mois et cette prise en charge individuelle où la confiance et la relation authentique sont primordiales. L'objectif posé est presque toujours la recherche de calme et d'apaisement. Les séances peuvent alors être plus courtes (de 15 minutes environ), le patient étant trop fatigué et ayant du mal à se concentrer, et quotidiennes dans la mesure du possible. La séance se termine parfois dans l'endormissement.
Comment un sophrologue vit-il ces moments d'immersion intense dans le monde de la souffrance ?
SL : Je vais vous parler de Mr M… Un diagnostic de cancer pulmonaire a été posé en avril 2006. Il a été traité d'abord par une lobectomie puis une chimio pendant six mois. A suivi une période de rémission de presque un an sans traitement. Une récidive pulmonaire est apparue récemment ainsi qu'un accident vasculaire cérébral et des métastases osseuses. Son état s'est aggravé très vite et il se sent épuisé. Mr M… et son épouse sont tout à fait au courant de son état exact de santé et de son pronostic. Ils rencontrent tous deux régulièrement la psychologue avec qui je travaille en étroite collaboration.
Mr M... lui demande de me rencontrer pour trouver un moment de calme et gérer ses angoisses. Nous nous rencontrerons presque tous les jours pendant un mois en recherchant un moment de douceur, c'était son mot " la douceur ", un moment privilégié parfois partagé avec son épouse. Mr M... est maintenant décédé, je le remercie pour ces moments de douceur partagés. Ainsi se termine ma journée, faite de rencontres merveilleuses et de leçons de vie.
Nous arrivons à la fin de notre rencontre. Tout au long de ces longs mois, nous avons partagé avec vous une véritable immersion dans les profondeurs d'une forme de réalité humaine, trop souvent cachée aux yeux du monde ! Les lecteurs de Santé Intégrative ont pu apprécier, à sa juste valeur, toute votre clairvoyance et vos qualités de cœur qui font de vous une sophrologue exceptionnelle. Merci Sylvie pour votre engagement !
SL : Si je suis " un rayon de soleil " comme certains patients le disent, eh bien, je suis ravie d'avoir pu leur donner un peu de chaleur et en retour ils me donnent beaucoup de force, alors merci à eux.