Thérapie et relation. Revue Hypnose & Thérapies Brèves 74.

Faire émerger une relation vivante.
Externalisation et accordage relationnel. Apport de la TLMR dans la filiation au monde relationnel du patient.



Deux exemples pour illustrer le travail d’externalisation par le thérapeute en TLMR. Un travail tout en finesse qui nécessite intuition et créativité pour faciliter l’accordage relationnel et faire naître une co-création. L’objectif étant ici que deux patientes se détachent de l’emprise du monde traumatique.

La Thérapie du lien et des mondes relationnels (TLMR) est une vision humaniste du soin qui se base sur la puissance thérapeutique de la relation humaine. Thérapeute et patient entrent dans un processus de co-construction par un travail de questionnement. Ceci permet l’émergence d’un imaginaire partagé prenant appui sur l’expérience corporelle. Cette rencontre et ce lien relationnel sécure vont révéler les ressources permettant au patient de redevenir acteur et auteur de sa vie, par la dissolution de l’emprise du monde traumatique.

L’externalisation est l’un des procédés socles de la TLMR. Il peut émerger du patient comme du thérapeute sous différentes formes : métaphore, image, son... Cela nécessite pour le thérapeute d’apprendre à développer, en pleine présence, ses perceptions, son intuition, son imaginaire, sa créativité et son non-savoir. Cette manière d’aborder le travail thérapeutique favorise la mise en place d’un espace partagé et sécure dans l’ici et maintenant. L’externalisation par le thérapeute a plusieurs objectifs. Dans un premier temps, elle nourrit le processus thérapeutique et facilite l’accordage relationnel. Dans un second temps, elle permet l’épargne du soignant. En effet, en partageant son vécu interne en lien avec ce qui se déroule dans la séance avec le patient, il se dégage de l’emprise du monde traumatique de ce dernier.

Nous avons choisi deux patientes afin de partager avec vous des séquences de travail afin d’illustrer au mieux ce qu’est l’externalisation par le thérapeute en TLMR.

LOU ET SES TICS

Lou est une jeune fille brune aux cheveux longs. Derrière ses 16 ans, il y a quelque chose dans son regard et sa présence de très adulte, de très femme. Cependant, il émane d’elle également une petite fille insécure aux ongles rongés et à la voix hésitante. Elle se mordille les lèvres et semble toute recroquevillée sur elle-même. Pour cette première consultation, elle est accompagnée de sa maman.

- Lou : « Je viens parce que j’ai un problème qui date et je n’en ai jamais vraiment parlé. Je sais que ça me bouffe la vie. Ça m’amène à avoir des tics. Je mange la peau de mes lèvres et je suis tout le temps en train de jouer avec mes doigts. Il faut que je travaille ça.
- Thérapeute : “Ça”, ce sont les tics ou autre chose ?
- Lou : Ma mère le sait mais je ne le l’ai jamais travaillé.
- Th. : Donc le “ça” c’est autre chose que les tics ?
- Lou : Oui, mais si j’en parle, je vais pleurer et c’est un problème pour moi de pleurer. Je ne veux pas qu’on me voit pleurer sinon on va me penser inférieure, je ne veux pas qu’on pense que je suis inférieure (son visage se crispe et les dents grattent les lèvres fortement).
- Th. : Explique-moi ce que tu entends par “me penser inférieure” ?
- Lou : J’ai peur que les gens ne comprennent pas que je souffre. Si je pleure de douleur physique, c’est OK. C’est acceptable. Les gens comprennent ce que c’est d’avoir mal. Mais si je pleure pour des choses qui me font mal au coeur, ce n’est pas OK de pleurer. Soit ils ne vont pas comprendre, soit ils vont chercher en surface, soit ils vont comprendre. Ils vont avoir pitié, ils vont avoir cette tête qu’ils font quand ils ont pitié mais après ça ne change rien. Ils passent à autre chose... » En quelques phrases, Lou met en scène son monde relationnel. Afin de bien comprendre et la rejoindre dans sa vision du monde, la thérapeute par le questionnement va chercher à s’accorder en reprenant son champ lexical, ses intonations et son langage non verbal.
- Th. : « Donc, il y a des gens qui ne comprennent rien. OK, donc là ça ne sert à rien de partager ?
- Lou : Oui, ils sont à côté de ça, et bon... je ne leur raconte pas.
- Th. : Y a ceux qui cherchent en surface ?
- Lou : Oui, ils voient que ça ne va pas. Ils vont poser des questions mais quand j’explique ça ne sert à rien. Ils ne comprennent rien. Ils passent à autre chose. Alors si on me voit pleurer, c’est pas du tout OK.
- Th. : Mais alors, y a des gens qui comprennent ?
- Lou : Ma mère, le copain de ma mère, mon père, ma grand-mère paternelle, ma cousine, ma tante, Justine et Dahlia.
- Maman : Ça me touche que tu nommes les gens (larmes).
- Th. : Quand les larmes coulent sur les joues de Maman, pour toi c’est comment ?
- Lou : C’est normal, Maman pleure facile
ment. Je sais que c’est juste une émotion, qu’au fond ça va (rires entre Lou et sa maman).
- Th. : Ah, là c’est acceptable ?
- Lou : Oui, les larmes des autres et surtout de maman, ça va. Ce sont les miennes...
- Th. : Quand Maman est touchée par les noms prononcés, y a une image qui me vient. Est-ce que c’est acceptable que je pose cette image au milieu pour la partager avec vous ?
- Lou et Maman : Oui.
- Th. : Quand Maman exprime cette émotion en entendant les prénoms énoncés il y a chez moi l’image d’un coeur entouré de tous ceux qui sont évoqués. Ces personnes viennent auprès du coeur pour en prendre soin. » Dans cette première rencontre, le processus d’externalisation, initié ici par la thérapeute, permet de faciliter le processus d’accordage relationnel avec le couple mère-enfant. Pour ce faire, le/la thérapeute doit s’appuyer sur ses propres perceptions et les partager comme une « matière » utile au processus.
- Lou : « Oui, je la vois cette image, je vois ma mère au milieu. Elle prend toute la place, c’est elle qui en prend le plus soin. » Ensemble, thérapeute et patients regardent la « scène imaginaire » et l’utilisent pour interagir. Dans cet espace situé devant eux, à l’instant présent, le problème du patient peut être métaphorisé : il devient une réalité partagée.
- Maman : Rires et sourires...
- Th. : « Ce qui me vient là, c’est un coeur avec Maman au milieu et tous les autres autour. Ils prennent soin également du coeur ?
- Lou : Oui, mais moins que Maman.
- Maman : Oui, mais moi quand je vois ça, je me sens moins seule parce que pendant des années j’ai été très seule et ce n’est pas toujours facile. » Émerge maintenant une co-construction de l’externalisation. La forme que va prendre le travail thérapeutique n’est pas le fruit du hasard, c’est une forme unique émergeant de la relation thérapeutique, c’est-à-dire des interactions entre patient et thérapeute.
- Lou (à l’adresse de la thérapeute) : « C’est bien qu’elle se sente moins seule.
- Th. : Y a une nouvelle forme qui me vient. C’est un maillage qui soutient, il est sous le coeur. C’est comme un filet de pêche, qui soutient. » L’externalisation crée une réalité qui est partagée entre la mère et sa fille avec la thérapeute ; elle est en triangulation.
- Maman : « Je suis contente qu’elle se sente en sécurité. Moi aussi ça crée une petite détente dans le corps.
- Lou : Moi, ça fait un petit fébrilement dans le ventre. » Elle fait un geste de la main avec les doigts qui bougent en direction du ventre et présente un grand sourire. Quand la bulle relationnelle, ce « nous », est en place, patientes et thérapeute font partie ensemble d’un même tout, où les sensations corporelles, les émotions, les pensées n’appartiennent plus ni à l’un, ni à l’autre, mais sont le fruit de l’interaction entre eux. Cela permet des phénomènes de synchronicité : sensation de transmission d’images et de pensées. Les images qui viennent sont en fait le fruit de l’interaction, elles émergent en même temps chez les trois personnes, et c’est justement ce qui autorise l’externalisation et la rencontre, ici le rire et les sensations corporelles.
- Th. : « Je vous propose que pendant qu’une partie de votre attention se porte sur la sécurité dans votre corps (de Maman) et la fébrilité dans le tien (Lou), une autre partie de votre attention se porte sur l’image qu’il y a au milieu.
- Maman : Ça se détend plus, les larmes qui viennent...
- Lou (les larmes montent dans les yeux de Lou) : C’est OK parce que ce sont les mêmes larmes. Ça montre qu’il y a comme une ligne imaginaire entre ma mère et moi. Une ligne comme un fil du filet qui nous relie, comme si nous étions sur la même corde. Ce sont les mêmes larmes et c’est bien. On se sent moins seules. » Trianguler avec cette forme permet un travail thérapeutique décentré, amenant le patient à se distancier du problème et de fait à le protéger des abréactions. La triade thérapeute/patientes accède à la façon dont le patient a construit son existence autour de significations et de représentations singulières de ses relations à soi, aux autres et au monde. L’externalisation, et le questionnement qui en découle, permettent de modifier leurs perspectives, leurs perceptions de la réalité et positionnement dans leur vie.
- Th. : « C’est le lien dont tu me parlais tout à l’heure ?
- Lou : Mais oui ! (rires). »

MATHILDE ET LE SUCRE.

Mathilde, 38 ans, vient me consulter car depuis quelque temps elle a pris beaucoup de poids. Elle a très peu d’expressions faciales, son regard est peu mobile et elle semble contrôler tous ses gestes. Elle se laisse choir dans le fauteuil qu’elle occupe pleinement. Je l’ai déjà accompagnée lors de trois séances. Depuis, elle a arrêté de grossir mais se rue sur le sucre et mange de façon anarchique.
- Mathilde : « Mon esprit me dit : “vas-y, mange, ça te fera du bien”, et moi je mange.
- Th. : Que je comprenne bien, Mathilde : il y a…

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Géraldine Garon Hypnothérapeute, sexothérapeute en libéral à Bourges. Elle a commencé à pratiquer l’hypnose au bloc opératoire en tant qu’infirmière anesthésiste pour choisir ensuite de poursuivre son parcours de formation vers l’hypnothérapie, la thérapie du lien et des mondes relationnels (anciennement HTSMA), la sexothérapie et thérapie de couple. Elle fait partie de l’équipe de formateurs et de superviseurs de l’Institut Mimethys.
Solen Montanari Psychologue, psychothérapeute depuis 2000. Travaille en libéral en région parisienne auprès d’enfants et des familles, formatrice à la Thérapie du lien et des mondes relationnels (TLMR) à l’Institut Mimethys.

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N°74 : Août / Sept. / Octobre 2024

La puissance thérapeutique de la relation humaine

Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°74 :

Si la prise en compte du corps relationnel est au centre des changements en thérapie, cela implique pour le thérapeute d’être attentif au contexte relationnel favorisant les processus dissociatifs. Et pour favoriser les processus de réassociation, le thérapeute doit être en capacité de modifier les interactions qui entretiennent le problème.
. Nathalie Koralnik, dans un texte clair et pédagogique, nous montre comment la prescription du symptôme permet à des parents consultant pour des problèmes récurrents, avec une escalade symétrique de disputes et de crises, de retrouver une relation éducative positive, les parents pouvant s’investir dans un rôle de co-thérapeutes. L’approche stratégique, lorsqu’elle est pensée de manière coopérative, est vraiment un outil de choix pour sortir des impasses relationnelles.


Delphine Le Gris nous parle de Mélanie, une jeune femme en grande souffrance après une rupture sentimentale où la relation de couple était depuis longtemps perçue comme maltraitante. En s’immergeant dans l’histoire de sa patiente, l’image de la mer et de l’eau est apparue, avec des vagues réparatrices permettant de retrouver les ressources enfuies et de rendre possible l’oubli des relations difficiles emportées au large. Nous voyons ainsi l’importance pour le thérapeute de se connecter à l’histoire racontée par le sujet pour ouvrir un imaginaire partagé, dans lequel la vie relationnelle va reprendre sa place.

Michel Dumas évoque l’histoire de Stéphanie, confrontée à la déliquescence de la relation avec son mari qui, le plus souvent, met en scène sa tristesse et se réfugie devant son téléviseur. Elle ne parvient pas à aborder avec son conjoint cette situation où elle se sent de moins en moins aimée, car elle a peur d’un conflit qui provoquerait les conséquences qu’elle redoute. Après un recadrage : « si tu fais l’agneau, tu trouveras le loup qui te mangera », le thérapeute prescrit trois tâches stratégiques possibles pour sortir de ce cercle vicieux relationnel.

Jérémie Roos nous raconte comment la situation bloquée de Zohra, attaquée par un chien, a pu évoluer grâce au sous-main de son bureau utilisé comme une scène imaginaire. Celle-ci permettra l’émergence de nouvelles formes relationnelles, ouvrant de nouveaux possibles grâce au soutien de la relation thérapeutique.

Gérard Ostermann nous présente la synthèse effectuée par,  Michel Ruel, à partir du travail de la CFHTB, sur l’utilisation de l’hypnose pour faire face à la souffrance au travail. Il rappelle l’importance de différencier le pré-effondrement de l’effondrement dans ces prises en charge. L’illustration clinique de la situation inquiétante d’un cadre d’entreprise subissant un début de désocialisation met en évidence l’intérêt du travail avec les métaphores pour retrouver des objectifs atteignables.

Morgane Monnier, quant à elle, nous présente l’intérêt de l’hypnose et des thérapies brèves pour améliorer les prises en charge en psychomotricité.Dans le dossier thématique « Thérapie et relation ».

Géraldine Garon et Solen Montanari mettent en lumière la puissance thérapeutique de la relation humaine lorsque le thérapeute et le patient entrent dans un processus de co-construction par un travail de questionnement permettant l’émergence d’un imaginaire partagé. Elles montrent, à travers les situations de Lou (qui se plaint de tics) et de Mathilde (présentant un excès de poids), comment l’externalisation nourrit le processus thérapeutique en favorisant l’accordage. Cet article décrit très bien l’apport de la TLMR à la mobilisation des ressources et au repositionnement du sujet. .

A partir de trois situations cliniques, Charlotte Thouvenot décrit avec précision l’importance de la carte du remembering pour retrouver une relation vivante et faire l’expérience de l’estime de soi.

Olivier de Palézieux développe une meilleure compréhension du concept d’empathie, au centre de la relation. Pour cela, il en décrit l’historique et les variations de sens. Il illustre l’intérêt de sa réflexion à propos du cas de Lucas présentant un TSA (trouble du spectre autistique).

Vous retrouverez la chronique de Sophie Cohen sur une première consultation autour de la détresse conjugale et des réseaux sociaux, celle de Sylvie Le Pelletier-Beaufond « Passer les portes secrètes et apaiser les craintes ». Tandis que Stefano Colombo et Muhuc vous feront découvrir ce qui peut se cacher derrière la « peur du conflit ».

Livres en bouche du mois.



Rédigé le 19/04/2025 à 18:01 modifié le 19/04/2025


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