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Les dérapages du biocarburant



Les dérapages du biocarburant


Pour diminuer ses émissions de gaz à effet de serre, la France a engagé une politique en faveur des biocarburants. Au dernier Salon de l’agriculture, l’un des halls était même transformé en salon de l’auto « bio ». À l’heure où il devient urgent de développer des alternatives au pétrole, que pouvons-nous espérer de ces carburants végétaux ?



Ce que nous appelons « bio » carburants n’a rien à voir avec l’agriculture biologique. Il s’agit des carburants d’origine végétale par opposition aux carburants issus des ressources fossiles. Actuellement, on produit principalement du biodiesel (de la marque Diester), issu du colza, tournesol ou palmier et de l’éthanol, à partir des betteraves, cannes à sucre et céréales. Jusqu’à présent, ils étaient peu développés car d’un coût trop élevé. Mais avec la hausse
du prix du pétrole, ils deviennent compétitifs. Leurs atouts : ils proviennent de ressources renouvelables, peuvent être produits localement, offrent de nouveaux débouchés à l’agriculture et dégagent moins de CO2. C’est pourquoi la France, engagée dans un processus de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre conformément au protocole de Kyoto, mise sur ces carburants alternatifs. Le Plan Climat lancé en 2004 par le gouvernement prévoit d’atteindre 5,75 % de biocarburants dans les moteurs d’ici 2010, soit environ six fois plus qu’aujourd’hui. Depuis novembre 2005, l’objectif a même été revu à la hausse : 7 % en 2010 et 10 % en 2015. Mais des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour dénoncer cette politique. Car ces carburants ne sont pas si écologiques que cela.




Manger ou conduire, il faut choisir ?


Selon que l’on prend en compte tel ou tel paramètre (CO2 émis par le tracteur, fabrication des engrais, distillation, transport, valorisation ou non des sous-produits (1)…), les résultats en terme d’émissions de gaz à effet de serre sont très variables. Difficile de trancher entre les études, mais ce qui est certain, c’est que des spécialistes concluent à une faible économie d’émissions par rapport aux hydrocarbures. De plus, il a été prouvé que, comme leurs homologues pétroliers, les biocarburants ont une mauvaise efficacité énergétique. Certains produisent à peine plus d’énergie qu’il n’en a fallu pour les fabriquer ! Mais le principal problème de ces nouveaux carburants reste la compétition avec la production de nourriture. Selon l’énergéticien Jean-Marc Jancovici, pour produire 50 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep), soit la consommation française pour le transport en 2002, il faudrait cultiver du colza sur toute la surface du pays. Avec la betterave, nous aurions besoin de 120 % de la surface de notre territoire. Et avec le blé 2700 % ! Selon l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), nos surfaces en jachère suffiraientà peine à atteindre les 5,75 % de biocarburants dans nos moteurs.




Exploitation et déforestation du Sud


Pour pallier ce manque d’espace, et pour des raisons de coût évidentes, les firmes du Nord investissent massivement dans les pays du Sud, qui se lancent dans la culture des biocarburants pour l’exportation. Mais même si nous affections la totalité des terres arables dans le monde à la production de biocarburants, nous n’aurions pas de quoi faire rouler tous nos véhicules… et plus rien à manger ! Or on rase des forêts pour en faire des terres agricoles.


Selon Les Amis de la terre, en Asie du Sud-est, la forêt disparaît au profit de la culture du palmier à huile comme carburant et les populations sont déplacées avec brutalité. L’ONG dénonce également des pratiques d’esclavagisme moderne envers les ouvriers des champs de canne à sucre au Brésil. Des champs qui, pour répondre à la demande de l’Occident en éthanol, se multiplient, là aussi en rasant des milliers d’hectares de forêt. Ce qui ne fait qu’augmenter l’effet de serre…




Une aubaine pour l’agrobusiness


Les agrocarburants, comme on les appelle aussi, sont cultivés en intensif avec recours en masse aux engrais chimiques, aux pesticides et à l’irrigation. Ce qui accroît l’érosion des sols, la diminution des ressources en eau et les pollutions à tous les niveaux. De plus, parce qu’ils ne sont pas ingérés, les biocarburants risquent d’être une porte ouverte aux OGM. Certains OGM spécialement conçus pour les carburants existent déjà, comme ce maïs de chez Syngenta, modifié pour produire une enzyme qui dégrade l’amidon de maïs en sucre, nécessaire à la fabrication d’éthanol. D’autres sont à l’étude chez Monsanto et les autres multinationales de semences et phytosanitaires. Les biocarburants constituent donc avant tout un marché juteux pour les géants de l’industrie. « Nous assistons à une terrifiante […] concentration des grands capitaux entre l’agrochimie, les biotechnologies, l’agroalimentaire et les sociétés pétrolières, avec la complicité bienveillante des États », s’alarme Dominique Guillet, président de l’association Kokopelli(2). Pour encourager la production, l’État reverse en effet à l’industriel une partie de la Tipp (3). « Cette somme est suffisante pour acheter la matière première agricole et rémunérer la main d’œuvre », explique Patrick Sadones, agriculteur et auteur d’une étude pour le Réseau Action Climat. « Les cultures [européennes] étant par ailleurs subventionnées par la politique agricole commune (Pac), en cumulant les deux aides, le soutien public s’élève à environ 175 % de la valeur du kilo de blé ! »




Des initiatives prometteuses bloquées


Tandis qu’il subventionne les industriels, le gouvernement interdit l’utilisation de l’huile végétale brute (tournesol, colza), sauf pour les machines agricoles et, depuis janvier 2007, pour les véhicules des collectivités, mais avec une taxation élevée et dans le cadre d’un protocole qui n’est pas encore mis en place. Pourtant, ce biocarburant est le moins gourmand en énergie, eau, engrais, et favorise les filières courtes. Développée à des échelles locales, avec une remise en question du tout-voiture et une politique volontariste en faveur des modes de transports propres et des énergies renouvelables, l’huile végétale brute pourrait être une alternative intéressante au pétrole. Les élus de la Communauté de communes du Villeneuvois (47) l’ont bien compris. Depuis 2005, ils font rouler leurs camions poubelles à l’huile de tournesol pure, fabriquée par les paysans locaux. Et se retrouvent sous le coup d’attaques en justice répétées de la part de l’État. Comme le résume avec indignation Olivier Dourte de la communauté de communes : « Il y a des carburants autorisés par l’État en accord avec les lobbies, et d’autres interdits parce que les industriels n’y trouvent pas leur compte. »





(1) Valorisation des sous-produits : par exemple, le tourteau, sous-produit de la fabrication des huiles végétales peut nourrir le bétail, et remplacer ainsi le soja importé de loin, avec lequel nos bêtes sont majoritairement nourries.

(2) Article « Mettez du sang dans votre moteur, la tragédie des nécro-carburants » par Dominique Guillet, Président de Kokopelli, association qui défend les semences paysannes et les pratiques agro-écologiques.

A lire sur le site Internet : www.kokopelli.asso.fr

(3) La Tipp ou Taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers.


en savoir plus quelques sites internet

Plan Climat : téléchargeable sur le site www.ecologie.gouv.fr

J.-M. Jancovici, énergéticien et consultant: www.manicore.com

Les Amis de la terre : www.amisdelaterre.org

Kokopelli : www.kokopelli.asso.fr

Réseau Action Climat France : www.rac-f.org

Communauté de communes du Villeneuvois: www.cc-villeneuvois.fr


Source : limpatient.wordpress.com


Rédigé le 14/05/2008 à 16:14 modifié le 16/07/2009


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