Alain Gourhant : Pour commencer, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de Santé Intégrative ?
Martine Iracane : Je suis psychologue clinicienne dans le service public, où j’exerce à l’hôpital psychiatrique, en secteur de psychiatrie adulte à Aix en Provence et essentiellement au Centre Medico-Psychologique de Vitrolles, structure extra-hospitalière du dispositif de soin. Ma pratique professionnelle de terrain m’a peu à peu conduite à me spécialiser en victimologie clinique et je suis membre de la Cellule d’Urgence Medico-Psychologique des Bouches du Rhône.
Depuis une dizaine d'années, j’y ai diminué mon temps de travail pour exercer des fonctions de formatrice dans le cadre du département de formation continue de l’Université de Brest. J’anime également dans d’autres régions des formations occasionnelles en collaboration avec d’autres intervenants, au sein de l’organisme de formation associatif Synchronie et j'interviens assez régulièrement dans l’enseignement de Diplômes Universitaires.
Au cours de ces actions, je rencontre des professionnels : psychologues, médecins, travailleurs sociaux, équipes paramédicales et pénitentiaires, souvent confrontés dans leur pratique à des situations difficiles avec les usagers et leur famille, aux différentes expressions de la violence en milieu institutionnel, à des situations traumatiques et de stress. Les missions proposent de répondre et de les soutenir dans l’analyse, la gestion, la prévention de ces problématiques de terrain, au plus près de leurs pratiques. Depuis 1998, je fais partie de l’équipe pédagogique de la formation à la thérapie EMDR, dans le cadre de l’Institut Français d’EMDR dirigé par David Servan-Schreiber et suis superviseuse EMDR Europe.
Qu'est-ce qui vous a amenée à cette pratique de l'EMDR ?
Ce fut un moment pivot de ma vie professionnelle. Dans le cadre de la consultation du secteur psychiatrique, j'étais déjà amenée à recevoir de plus en plus souvent des patients victimes de violences : violences urbaines, agressions, mais aussi violences familiales (femmes battues, séquelles de maltraitances infantiles), accidents du travail ou violences subies par l’impact d’événements de vie brutaux, tels la survenue d'un deuil soudain ou d'un accident de voiture...
Ces personnes présentaient des tableaux cliniques spécifiques, nommés Etat de Stress Post- traumatiques. Ce sont donc mes patients qui m'ont amenée à me pencher sur des outils thérapeutiques mieux adaptés, à mon sens, que ceux utilisés jusque-là dans ma pratique de psychothérapie individuelle d’inspiration psychanalytique. Le cadre théorique qu’offre cependant la psychanalyse reste pour moi la référence essentielle. À l’époque, encouragée par une demande de partenariat adressée au CMP et émanant du Bureau d’Aide aux Victimes de la commune, et soutenue par le médecin responsable du service, j’ai consolidé mon projet de formation spécialisée dans le traitement des séquelles traumatiques. L’apprentissage des techniques de “debriefing”(2) enseignées par les psychiatres militaires, puis l’approche en hypnose ericksonienne, en ont été les premières étapes.
En tant que musicothérapeute, j’utilisais déjà les approches psychocorporelles de relaxation sous induction musicale, pour aider les patients à gérer les états anxieux. La médiation corporelle et musicale venait faciliter la verbalisation des ressentis, puis l’intégration des émotions et du vécu déstabilisant. Souvent associés à une prescription médicamenteuse, tous ces outils constituaient une palette soutenant efficacement les patients, mais ils s’avéraient souvent insuffisants pour traiter profondément ceux qui présentaient des tableaux post-traumatiques sévères et parfois chroniques. La thérapie EMDR me fut présentée au cours d’une conférence à l’hôpital.
Un peu dubitative j’ai eu envie de découvrir cette pratique qui semblait répondre très spécifiquement aux problématiques de certains patients débordés par l’angoisse, la reviviscence et la répétition d’un vécu et d’une expérience psychiquement ingérables. En m’inscrivant à cette formation, je pensais aux personnes prises en otage par leur traumatisme, aux caissières braquées dans l’incapacité de faire leurs courses dans un quelconque magasin, aux victimes de violences physiques qui n’osaient plus franchir le seuil de leur maison, aux accidentés de la route développant une phobie de la conduite, etc. J’ai participé à un premier volet de formation, dispensée par des psychologues cliniciens américains en 96 et je n'ai pas été déçue !
Depuis, sur fond de tissage d’expériences antérieures, l'EMDR n'a jamais plus quitté ma pratique, car les thématiques telles que trauma, violences et stress constituent une part essentielle des psychothérapies et consultations au CMP. La démarche est parfois initiée par le patient lui-même mais très souvent encouragée par des intervenants divers du réseau social, médical et hospitalier, sollicités en première instance.
Pouvez-vous nous présenter cette technique de l'EMDR ?
Pour comprendre la finalité et les modalités d’action de l’approche EMDR, il faut dire quelques mots sur la traumatisation et ses déclinaisons symptomatiques. Lorsqu’une personne est confrontée à un événement qui menace son intégrité physique et psychique, ou lorsqu’elle est témoin d’un tel événement, elle peut être hautement perturbée et déstructurée au plan psychique.
La surcharge émotionnelle de l’effraction traumatique génère un véritable état de commotion psychique. Les perceptions de l’environnement peuvent être alors “engrammées” telles quelles, (odeurs, sons, images etc.) sous une forme brute ; les pensées et les émotions se figent. Ce blocage entraîne dans les semaines qui suivent l’exposition à la situation, des symptômes d'intrusion tels que les flashbacks, des phénomènes de reviviscence de l'expérience traumatique, des peurs intenses, des réactions de sursaut, des désordres neurovégétatifs, des phobies d’évitement… en fait, naturellement toute personne dispose des outils nécessaires pour digérer les expériences difficiles : elle les partage par le récit, elle y pense, en rêve et le processus naturel de guérison se met en place avec une mobilisation de ses ressources et expériences positives antérieures.
Dans le cas de la traumatisation psychique, le patient se trouve dans l’incapacité d'activer ces mécanismes naturels d’autoguérison. Il va avoir besoin d’une aide pour intégrer cette expérience douloureuse hors du commun. C’est là qu’intervient la fonction principale de la méthode EMDR : l’activation d’un processus de digestion bloqué. Francine Shapiro elle-même utilise la métaphore de la digestion. Cette métabolisation va peu à peu évacuer les contenus perturbants (les déchets de la digestion) pour ne retenir que les contenus “utiles” aux apprentissages et à la consolidation du moi (les substances fortifiantes). Sans rentrer dans le détail du processus et plan de traitement très protocolisé et structuré, je voudrais faire référence à quelques axes explicatifs. Le protocole de traitement articule le passé et le présent, de manière simultanée.
C’est l’alliance thérapeutique qui crée un véritable filet de sécurité qui permet au patient de plonger dans le souvenir, tout en vivant la sécurité dans l’ici et maintenant et en régulant son stress. Si le patient doit revisiter son traumatisme par l'exposition, il ne doit pas pour autant se recontaminer. Quelle est la place des mouvements oculaires et autre forme de stimulation alternée ? Ils vont activer à partir de la focalisation initiale, le processus de retraitement par l’association libre. Celui-ci va s’opérer par étapes, en déchargeant de manière “cathartique”le matériel perturbant. Par exemple, l’information dysfonctionnelle « je vais mourir... Je suis en danger » restée coincée dans le cerveau du salarié braqué, avec les émotions négatives associées (terreur, sentiment d’impuissance) et les sensations corporelles (douleurs, crispations), les perceptions (le visage cagoulé, les coups de feu), toutes ces traces mnésiques, éparses et dissociées vont se remettre en lien. L’expérience se restructure, se métabolise et s’intègre autour d’une information plus adé adéquate et plus appropriée (l’information dite adaptative). Pour reprendre l’exemple du salarié braqué, l’information adaptative est « j’ai survécu... Je suis en sécurité maintenant ».
Dans l'appareil neurophysiologique, des fragments de contenus de l’expérience vécue restent bloqués dans certaines parties de notre système nerveux central : le cerveau limbique, la zone amygdalienne notamment. Aussi, les stimulations bilatérales alternées favoriseraient la fluidification des échanges entre les trois étages de notre cerveau (reptilien, limbique, néocortex), ce processus permettant la métabolisation et l’intégration de l’expérience traumatique. Des recherches actuelles portent sur les mécanismes neurophysiologiques et biochimiques concomitants de cette métabolisation. L’EMDR est également utilisée pour traiter les petits “t” qui participent à entraver le développement harmonieux de la personnalité et sont constitutifs de l’identité. Ainsi les troubles de l’estime de soi, le manque d’assertivité et de confiance en soi, l’anxiété, peuvent prendre leur source dans des expériences infantiles d’atteinte à la sécurité (peurs) ou à l’image de soi et au narcissisme (l'humiliation à l’école, par exemple). Ces souvenirs peuvent faire l’objet de “cibles” et permettre un plan de traitement en profondeur, pour améliorer l’équilibre global de la personne. Pour conclure, la méthode EMDR est loin de représenter uniquement une gymnastique oculaire, elle s’appuie sur un protocole qui s’intègre dans une approche clinique et psychopathologique globale de la personnalité du patient.
Vous venez d'employer un mot important dans ce journal, le mot “intégration”, et nous venons de voir la première forme d'intégration de l'EMDR, sa capacité de favoriser la digestion au niveau psychique des expériences traumatiques. Pouvez-vous nous parler maintenant d'une autre forme d'intégration : comment l’ EMDR intègre en elle-même, différentes techniques ou courants psychothérapeutiques ?
L'EMDR est effectivement une méthode qui fait converger plusieurs courants de la psychothérapie en les assimilant, les combinant et les intégrant. La thérapie cognitive et comportementale (Tcc) apparaît au 1er plan, de par la structuration du protocole de base, la notion d’exposition en imaginaire et in vivo, les liens entre sensations physiques et cognitions, la restructuration cognitive à partir des pensées auto-bloquantes. La théorie EMDR fait aussi largement référence à la psychanalyse, d’abord parce que le symptôme est perçu comme la conséquence actuelle d’un trauma ou d’un conflit du passé, parfois refoulé. elle reprend également les concepts de dissociation et de fragmentation du matériel psychique, décrits par Freud et Janet.
La “désagrégation psychique” survient lors de l’effraction psychique : émotions, pensées, sensations corporelles, éléments sensoriels sont en rupture de liaison et sont “parsemés” dans le psychisme sans être raccrochés aux autres représentations mentales. Ce sont ces éléments épars qui génèrent les symptômes de reviviscence, d’intrusion, d’évitement et d’angoisse. La stimulation bilatérale alternée, pratiquée en EMDR favorise aussi l’accélération de la libre association et l’intégration de l’expérience traumatique par la réassociation de ces éléments. elle mobilise le matériel du préconscient et favorise l’élaboration.
Quelquefois la catharsis émotionnelle, nommée “abréaction” en EMDR, peut participer à la “désinfection psychique” dont parle Janet. La thérapie EMDR a aussi puisé dans la clinique du courant thérapeutique de la Gestalt. Le centrage sur le matériel présent, ici et maintenant, dans le lien thérapeutique, la réactualisation du vécu émotionnel inscrit et perçu dans le corps, l’encouragement au dialogue avec “l’enfant intérieur”, en sont les principaux exemples.
L’EMDR se focalise sur “le présent du passé”, sur la mémoire actuelle du patient. Nous donnons également une place importante au corps ; le lien avec les thérapies psychocorporelles est très soutenu. La mémoire corporelle est mobilisée, accueillie, et de nombreux exercices de relaxation et d’ancrage participent à la nécessaire préparation du patient en amont de la dé-sensibilisation. Même si l’EMDR ne doit pas être assimilée à l'hypnose éricksonienne, le sujet peut se retrouver en état modifié de conscience, dans un état de seuil de réceptivité différente.
Nous pouvons aussi avoir largement recours à des métaphores comme en hypnose pour débloquer le travail thérapeutique à certains moments du traitement. Mais ce n’est pas une méthode comme l'hypnose utilisant la suggestion. enfin, le modèle EMDR comporte une approche neuro-émotionnelle. On parle beaucoup dans l'EMDR du système nerveux central et le mouvement oculaire viendrait s'apparenter à la phase de sommeil paradoxal, (rapid eye Mouvement reM), facifacilitant les échanges entre cerveau limbique et cortex.
Je crois que vous avez beaucoup de projets en perspective ?
Concernant l'EMDR, je vais continuer à animer les supervisions, qui sont des espaces de partages d’expériences entre professionnels, ponctuant les étapes successives de la formation pour accéder à la certification EMDR. Ces supervisions s’adressent également à des thérapeutes confirmés qui vont ainsi prendre la mesure de la dimension intégrative de l'EMDR – chaque professionnel venant à cette méthode avec un bagage et une orientation spécifiques. Je prépare actuellement un séminaire spécialisé EMDR, adapté aux urgences et au “debriefing”et un autre sur l’aménagement du plan de traitement EMDR pour les patients présentant des troubles dissociatifs de la personnalité dans le cadre de l’organisme de formation de l’Association Synchronie. Je projette aussi d’entreprendre un travail de recherche sur l'articulation “debriefing EMDR”, dans le domaine des accidents du travail.
Formation Certifiante par France EMDR-IMO ®
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L’intime en TLMR. De la transe traumatique à la transe thérapeutique.
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Formations Certifiantes et Validantes organisées par France EMDR-IMO ®.
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Traitement du Stress Post traumatique, Syndrome Stress Post Traumatique, EMDR, Integration par les Mouvements Oculaires, IMO et Hypnose dans les SSPT
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EMDR - IMO, Intégration par les Mouvements Oculaires, annuaire des professionnels de l'EMDR - IMO
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L’EMDR et traumatisme: l’Emdr chasse les souvenirs traumatisants