Philippe Aïm est psychiatre et psychothérapeute. Ancien chef de clinique à la Faculté de Médecine de Nancy, il est aujourd’hui formateur, conférencier international et responsable pédagogique et formateur au Collège d’Hypnose et de Thérapies Intégratives de Paris, où il consulte aussi à Paris.
Il fallait au moins ça pour m’aider à comprendre… Et puis il explique hyper bien.
Le 13 novembre…
Mon métier allait surement rapidement être utile, les thérapies que je pratique s’adaptent bien au psycho traumatisme… Alors dès le lendemain matin, j’ai appelé un collègue travaillant en cellule d’urgence médico-psychologique pour proposer mon aide. Il m’a déconseillé d’intervenir dans l’immédiat, pour ne pas perturber l’organisation et « l’ébulition » des urgences. Je l’ai très bien compris, d’autant que je savais aussi que dans les suites, les besoins seraient réels. Le trauma fonctionne ainsi : avec des contrecoups»
Priorité à la formation
Cela maintient une anxiété, une tension, un trauma collectif, auxquels on doit pouvoir faire face. Ma question de thérapeute et formateur en thérapie est : quelles sont les formations à mettre en place sur un temps court pour transmettre à un maximum de soignants des outils permettant d’accueillir et de calmer l’essentiel ?
Nous serons confrontés à tous les degrés de traumatismes, mais beaucoup pourront se calmer avec des outils simples, où, le cas échéant, être réorientés. Il faut que ce tri se fasse.
Cette semaine nous allons, avec des collègues, former du personnel du Centre Médico-Psychologique du 11ème, au cœur des événements, la semaine suivante des soignants de toute la région. La demande est très importante et essentielle ».
La clé : accepter la peur
Même parmi les victimes, certaines fuient les médias, d’autres parlent de façon très émotionnelle, d’autres encore développent déjà des théories sur la réaction à avoir, la conduite à tenir… Cela semble très étonnant pour les gens qui regardent. En fait, aucune de ces réactions ne paraît très naturelle. C’est ainsi dans les premiers temps.
Puis vient le temps de l’acceptation. Certains disent : on a peur ET on va en terrasse.C’est parce que j’ai peur et que je vais en terrasse que je fais un acte de résistance.
C’est un comportement qui devient plus cohérent avec le temps. Eviter sa peur, que ce soit par la fuite ou le déni, n’aide pas à l’affronter. On affronte que ce dont on a admis l’existence. Comme le dit G. Nardone :
Les peurs que l’on évite se transforment en panique, les peurs que l’on affronte se transforment en courage.
Le courage d’agir arrive plutôt là, après cette démarche d’acceptation ».
L’importance de parler, et de se taire
Répondre à la peur exprimée par une explication géopolitique du monde (c’est fréquent sur les réseaux sociaux), ça n’aide pas ; alors que reconnaître « moi aussi j’ai peur » permet de se serrer les coudes et de réagir, pour voir plus loin que les clivages, les « torts ou raison ».
La Bible , je crois, dit qu’il y a un temps pour parler, et un temps pour se taire.
Je dirais même qu’il y a un temps pour se taire, un temps pour parler, et de nouveau un temps pour se taire.
On peut se taire au début, face au choc, face aux victimes. C’est le temps du recueillement, et donc du silence. Après, il y a un temps pour dire qu’on a peur pour l’avenir, pour nos gosses. Et puis un temps pour se taire à nouveau sur ce sujet, se taire là dessus pour parler d’autre chose, pour se dire « bon, vivons ! ». Et parce qu’on a pris la mesure de tout ça, alors enfin nous agissons, plus lucidement ».
Comment en parler aux enfants
Le débat lexical, un frein à l’action
Cela étant, les mots créent la réalité… et alimentent le débat !
Par exemple : quand bien même il se targue de critères objectifs d’un état (budget, territoire, armée, gouvernement, monnaie), on voudrait, avec condescendance, appliquer à Daesh nos critères, qui veulent que sans « candidature validée » à l’ONU, il ne peut y avoir d’Etat. On ne peut donc pas être en guerre, puisqu’on ne peut faire la guerre qu’à un Etat ! Inversement, parler d’un état c’est reconnaître la revendication « ennemie »…
D’accord, alors comment appelle-t-on un conflit entre un Etat et une organisation qui n’est pas un Etat, mais un entre-deux ?
Pas vraiment une « nation », pas non plus une simple « bande de criminels»… mais aussi une idéologie, un mode opératoire, un « califat » disent certains, pour désigner une forme juridique non-européenne…
Comment appelle-t-on ce conflit s’il implique des attaques différentes de la guerre « classique », un « front » différent, s’il mêle ce qui se passe loin et tout près ? Ce n’est pas la paix, pour sur, alors c’est quoi ? Si quelqu’un nous déclare la guerre, suffit-il de lui dire « non, ce que tu fais n’est pas une guerre » ?
Soit on élargit la définition du mot guerre, pour couvrir cette « guerre 3.0 », soit on reconnaît que les mots dont on dispose ne sont pas aptes à décrire ce qu’il se passe, et qu’il faut en créer de nouveaux.
Les mots sont aussi utilisés pour nous amener quelque part, ils ont un effet. Par exemple, si je dis « terrorisme » (qui désigne avant tout un mode opératoire !) ça me terrorise ; si je dis « guerre » alors je peux désigner des ennemis ou chercher qui l’a déclarée, mais aussi parler de résistance, et je peux même parler de paix comme une issue.
Certains disent : « je ne veux pas que ça soit une guerre parce que le mot guerre me fait peur ».
Peut-être que le mot « guerre » n’est pas le bon, nous ne l’avons pas choisi d’ailleurs, mais si on ne met pas un mot sur ce qu’il se passe, comment espérer le changer ? Je suis persuadé que tant que l’on n’acceptera pas des mots qui font consensus, on ne pourra pas avancer. Et les politiques cherchent souvent « le meilleur mot que l’autre », avec en ligne de mire, les élections…
Y a-t-il un « dénominateur commun » pour cette « unité » que tout le monde voudrait ? Comment y participer ? »
Le mot de la fin : Mère Thérésa, bisounours et espoir
Et puis… y a CommPsy
Sources: http://goodmorningnancy.fr/2015/11/25/attentats-le-jour-dapres-entretien-avec-philippe-aim-psychiatre-et-psychotherapeute/