Le désir et le manque
La théorie lacanienne du Désir (écrit ici avec un « D » majuscule pour le distinguer du simple désir sexuel) jette une lumière intéressante sur le phénomène d’emballement-désaffection. Pour Lacan (1957), la vie elle-même est facteur d’inconfort. Il en résulte que le devenir humain s’organise fondamentalement sur un manque ontologique : la nostalgie du non-être, de « l’avant vie ». Mais ce non-être est indicible en son essence car toute représentation a pour cadre l’existence. Il n’empêche que, tout indicible soit-il, l’objet premier, cet état d’avant vie ou, plutôt, ce non-état est bien la source de toute motivation. En poussant le sujet à sa recherche, il exige de lui qu’il s’en construise des représentations, des symboles : le sein maternel, une mèche blonde...
Autant d’approximations, des objets contingents de désirs incapables d’épouser parfaitement les contours immatériels de l’objet fondamental du Désir. En somme, l’irréductible inconfort produit du mouvement continu des organes en vie, l’humain n’a, pour tenter de l’apaiser, que les objets livrés à sa perception. Les objets ainsi prélevés par le truchement des sens forment une réalité subjective en décalage inévitable par rapport au mobile premier de leur investissement, le manque originel. Le hiatus entre le réel insaisissable d’un manque qui trouve son origine hors toute expérience sensible et sa représentation, c’est-à-dire la réalité subjective, ce hiatus est la cause d’un renouvellement systématique du Désir, il pousse le sujet à complexifier encore et encore ses représentations, il le force au développement psychique comme en l’animant d’une rage à vouloir absolument atteindre l’objet fondamental du manque. En vain ! Le Désir ne peut trouver sa réalisation définitive que dans l’extinction de la vie. Même la plus raffinée des organisations psychiques ne demeure au bout du compte qu’une structure de signifiants dont le référent se dérobe sans cesse. La frustration persiste, obligeant sans cesse la pulsion à redéfinir ses cibles et définissant le Désir comme un mouvement perpétuel intrinsèque au vivant. L’aboutissement ultime de la pulsion de vie se fond dans la pulsion de mort (voir M. Safouan, 1968).
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