© Illustrations : Geneviève Marot
Rite d’incubation : dans l’attente du rêve guérisseur
Dans la région d’Hyderabad, en Inde, des malades viennent s’installer dans un temple à proximité du tombeau d’un saint et y demeurent une nuit, souvent plusieurs jours voire des semaines entières. Accompagnés la plupart du temps par des membres de leur famille, ils vivent ainsi dans le sanctuaire au gré des rythmes du culte et des musiques accompagnant prières, circumambulations, offrandes et rites collectifs de la fin du jour. Imprégnés de l’atmosphère fervente du lieu, ces patients attendent ainsi que le saint, ou l’esprit du saint, se manifeste dans leurs songes et leur apporte la guérison. Ils présentent divers troubles non résolus par la médecine classique : cécité, douleurs chroniques, asthme, douleurs cardiaques, évanouissements... Lorsque le rêve guérisseur advient, le patient, à son réveil, sent, sait que l’esprit du saint est apparu et lui a fait signe, même s’il ne l’a pas « vu » ni « entendu ». La guérison est parfois immédiate car, dans son rêve, la personne a ressenti sur la partie malade le souffle salvateur du saint ou bien a reçu de celui-ci un remède : des gouttes dans les yeux d’un collyre mystérieux lui ôtant sa cécité, ou une « piqûre » anesthésiante sur son épaule rhumatisante. D’autres fois, au réveil, le patient se souvient des prescriptions que lui a ordonnées l’esprit du saint dans le songe : traitements à prendre, pratiques cultuelles à suivre propres à entraîner la guérison... « Dormir près de », « se coucher dans le sanctuaire » (en latin « incubare ») et attendre, espérer un songe guérisseur, tel est le motif du malade qui demeure ici en la présence de l’esprit d’un saint. Ce rite dit d’incubation, présent sous différentes formes dans quelques régions du monde, relève d’une pratique plusieurs fois millénaire : appeler, éveillé ou endormi, un rêve dans lequel un dieu ou l’esprit d’un saint, d’une idole, d’un mort, apporte la guérison.
Des Sumériens aux chrétiens d’Orient, en passant par Esculape, Imothep ou Bès
L’existence de ces rites ancestraux sous formes diverses est avérée dès 3000 ans avant J.-C. chez les Sumériens, un millénaire plus tard chez les Hittites ou encore au Maghreb, en Lybie. On pense tout naturellement aux sanctuaires gréco-romains dédiés à Esculape (Asklépios ou Aesculapius) dans lesquels le rite d’incubation a cours pendant des siècles (du VIe siècle avant J.-C. au IVe siècle après J.-C.), nous y reviendrons. En Egypte, à l’époque ptolémaïque (300 avant J.-C. - 30 après J.-C.), à Philae ou Memphis, Imothep, dieu guérisseur assimilé sous l’influence des Grecs à Esculape, est vénéré. C’est de lui que l’on attend, dans l’antre de ses temples, l’intervention divine dans le rêve qui guérira ou indiquera le traitement à suivre. A l’époque romaine, c’est l’action guérisseuse du génie Bès qui est espérée dans les rêves des malades installés dans le temple d’Abydos au creux de niches réservées à cet effet. Plus tard, à l’époque médiévale (VIe siècle), en Occident, des pèlerins chrétiens se couchent dans les églises en présence de reliques d’un saint ou dans des tombeaux, où parfois des niches aussi sont aménagées pour eux, et ils appellent le songe porteur du message sacré qui les guérira (plus tard, ce sont les prêtres qui « rêvent » pour les malades). Ainsi en est-il dans certains monastères grecs ou églises chrétiennes d’Orient. On peut encore évoquer des temples réputés au Japon où un maître guérisseur apparaît dans les rêves, ou bien encore en Chine...
Plus de 420 sanctuaires dédiés au dieu Esculape réservés aux « appelés »
Mais revenons au rite d’incubation, bien documenté, effectué dans les sanctuaires consacrés au dieu Esculape tels ceux d’Epidaure ou de Pergame. On dénombre à une certaine époque, dans le monde grec, plus de 420 sanctuaires d’Esculape, c’est dire ici l’importance et sans aucun doute l’efficacité de ce rite. Nous en rappelons ici les grandes étapes. Les malades, porteurs de cécité, paralysie, douleurs chroniques, stérilité, de toutes classes sociales, venaient accompagnés de leur famille, au voisinage du sanctuaire, mais seuls les « appelés », ceux susceptibles de recevoir un songe guérisseur de la part du dieu Esculape, pouvaient pénétrer dans le sanctuaire. Leur famille restait aux alentours. Les malades suivaient alors une préparation à la fois morale, dont on sait peu de choses, et physique : pour « un sommeil sans trouble et sans se forger de chimère », il fallait suivre une diète, faire un jeûne, ne pas consommer de vin, être abstinent sexuellement ; il fallait se purifier par des ablutions, faire des offrandes, adresser des prières au dieu...
Les malades transportés vers un « sommeil sacré »
Pour lire la suite de l’article et commander la Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°61
Dans la région d’Hyderabad, en Inde, des malades viennent s’installer dans un temple à proximité du tombeau d’un saint et y demeurent une nuit, souvent plusieurs jours voire des semaines entières. Accompagnés la plupart du temps par des membres de leur famille, ils vivent ainsi dans le sanctuaire au gré des rythmes du culte et des musiques accompagnant prières, circumambulations, offrandes et rites collectifs de la fin du jour. Imprégnés de l’atmosphère fervente du lieu, ces patients attendent ainsi que le saint, ou l’esprit du saint, se manifeste dans leurs songes et leur apporte la guérison. Ils présentent divers troubles non résolus par la médecine classique : cécité, douleurs chroniques, asthme, douleurs cardiaques, évanouissements... Lorsque le rêve guérisseur advient, le patient, à son réveil, sent, sait que l’esprit du saint est apparu et lui a fait signe, même s’il ne l’a pas « vu » ni « entendu ». La guérison est parfois immédiate car, dans son rêve, la personne a ressenti sur la partie malade le souffle salvateur du saint ou bien a reçu de celui-ci un remède : des gouttes dans les yeux d’un collyre mystérieux lui ôtant sa cécité, ou une « piqûre » anesthésiante sur son épaule rhumatisante. D’autres fois, au réveil, le patient se souvient des prescriptions que lui a ordonnées l’esprit du saint dans le songe : traitements à prendre, pratiques cultuelles à suivre propres à entraîner la guérison... « Dormir près de », « se coucher dans le sanctuaire » (en latin « incubare ») et attendre, espérer un songe guérisseur, tel est le motif du malade qui demeure ici en la présence de l’esprit d’un saint. Ce rite dit d’incubation, présent sous différentes formes dans quelques régions du monde, relève d’une pratique plusieurs fois millénaire : appeler, éveillé ou endormi, un rêve dans lequel un dieu ou l’esprit d’un saint, d’une idole, d’un mort, apporte la guérison.
Des Sumériens aux chrétiens d’Orient, en passant par Esculape, Imothep ou Bès
L’existence de ces rites ancestraux sous formes diverses est avérée dès 3000 ans avant J.-C. chez les Sumériens, un millénaire plus tard chez les Hittites ou encore au Maghreb, en Lybie. On pense tout naturellement aux sanctuaires gréco-romains dédiés à Esculape (Asklépios ou Aesculapius) dans lesquels le rite d’incubation a cours pendant des siècles (du VIe siècle avant J.-C. au IVe siècle après J.-C.), nous y reviendrons. En Egypte, à l’époque ptolémaïque (300 avant J.-C. - 30 après J.-C.), à Philae ou Memphis, Imothep, dieu guérisseur assimilé sous l’influence des Grecs à Esculape, est vénéré. C’est de lui que l’on attend, dans l’antre de ses temples, l’intervention divine dans le rêve qui guérira ou indiquera le traitement à suivre. A l’époque romaine, c’est l’action guérisseuse du génie Bès qui est espérée dans les rêves des malades installés dans le temple d’Abydos au creux de niches réservées à cet effet. Plus tard, à l’époque médiévale (VIe siècle), en Occident, des pèlerins chrétiens se couchent dans les églises en présence de reliques d’un saint ou dans des tombeaux, où parfois des niches aussi sont aménagées pour eux, et ils appellent le songe porteur du message sacré qui les guérira (plus tard, ce sont les prêtres qui « rêvent » pour les malades). Ainsi en est-il dans certains monastères grecs ou églises chrétiennes d’Orient. On peut encore évoquer des temples réputés au Japon où un maître guérisseur apparaît dans les rêves, ou bien encore en Chine...
Plus de 420 sanctuaires dédiés au dieu Esculape réservés aux « appelés »
Mais revenons au rite d’incubation, bien documenté, effectué dans les sanctuaires consacrés au dieu Esculape tels ceux d’Epidaure ou de Pergame. On dénombre à une certaine époque, dans le monde grec, plus de 420 sanctuaires d’Esculape, c’est dire ici l’importance et sans aucun doute l’efficacité de ce rite. Nous en rappelons ici les grandes étapes. Les malades, porteurs de cécité, paralysie, douleurs chroniques, stérilité, de toutes classes sociales, venaient accompagnés de leur famille, au voisinage du sanctuaire, mais seuls les « appelés », ceux susceptibles de recevoir un songe guérisseur de la part du dieu Esculape, pouvaient pénétrer dans le sanctuaire. Leur famille restait aux alentours. Les malades suivaient alors une préparation à la fois morale, dont on sait peu de choses, et physique : pour « un sommeil sans trouble et sans se forger de chimère », il fallait suivre une diète, faire un jeûne, ne pas consommer de vin, être abstinent sexuellement ; il fallait se purifier par des ablutions, faire des offrandes, adresser des prières au dieu...
Les malades transportés vers un « sommeil sacré »
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Dr SYLVIE LE PELLETIER-BEAUFOND
Médecin-psychothérapeute depuis 1991 en libéral. Elle est également thérapeute systémique de famille et de couple. Elle intervient dans le champ professionnel, universitaire. Formatrice, elle reçoit des professionnels en supervision. Formée par Jean Godin à l’Institut Milton Erickson de Paris et par Mony Elkaïm, sa pratique clinique s’inspire de la pensée de François Roustang. Sylvie Le Pelletier-Beaufond est membre du Cercle d’Hypnose contemporaine, de l’Institut Milton Erickson Ile-de- France, et membre de la Société française de Thérapie familiale.
N°61 Mai, Juin, Juillet 2021
Dossier : Ecothérapie et F. Roustang
- Edito: Créativité et résonance. Julien Betbèze, rédacteur en chef
- Peur de prendre l’avion. Technique des mains de Rossi. Corinne Paillette, médecin
- Remise en mouvement. Les techniques hypnotiques du « mine de rien ». Marie-Clotilde Wurz de Baerts, psychologue clinicienne
- Le pouvoir de la dissociation. Corps et trauma. Gérald Brassine, psychothérapeute
- Urgences radiologiques. Le récit de ma vie de grande sensible. Kathy Prouille, manipulatrice en électrocardiologie
- La plume et le masque. Histoire de masques, de vagues et de web-conférences par temps de pandémie. Olivier de Palézieux, médecin urgentiste
Douleur douceur
- Edito. Gérard Ostermann, médecin
- Automaticité et neurosciences. Carolane Desmarteaux, neuropsychologue et Pierre Rainville, directeur du laboratoire de neuropsychologie-physiologie de la douleur de Montréal
- Syndromes d’Ehlers – Danlos. Errance du douloureux chronique. Sylvie Colombani-Claudel, médecin anesthésiste réanimateur et Blandine Rossi-Bouchet, orthophoniste
Dossier Ecothérapie autour de François Roustang
- Edito : Réintroduire un imaginaire centré sur la coopération. Julien Betbèze
- François Roustang et l’écothérapie. Il suffit de se sentir vivant. Virginie Coulombe, psychologue clinicienne
- Hypnose et crise écologique. La transe, renouveau anthropologique. Nicolas Bichot, psychologue clinicien
- Hypnose et narcissisme. La métaphore au service de la relation. Alexia Morvan, docteur en chirurgie dentaire
Rubriques :
- Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : Résonance. Stefano Colombo, psychiatre, illustration Mohand Chérif Si Ahmed, psychiatre
- Les champs du possible : A la bonne heure ! Adrian Chaboche, spécialiste en médecine générale et globale
Culture monde : Ces songes qui guérissent. Les rites d’incubation d’Hyderabad à Epidaure. Sylvie Le Pelletier-Beaufond, médecin-psychothérapeute.
- Les grands entretiens : Chantal Wood, pédiatre. Par Gérard Fitoussi, médecin
Dossier : Ecothérapie et F. Roustang
- Edito: Créativité et résonance. Julien Betbèze, rédacteur en chef
- Peur de prendre l’avion. Technique des mains de Rossi. Corinne Paillette, médecin
- Remise en mouvement. Les techniques hypnotiques du « mine de rien ». Marie-Clotilde Wurz de Baerts, psychologue clinicienne
- Le pouvoir de la dissociation. Corps et trauma. Gérald Brassine, psychothérapeute
- Urgences radiologiques. Le récit de ma vie de grande sensible. Kathy Prouille, manipulatrice en électrocardiologie
- La plume et le masque. Histoire de masques, de vagues et de web-conférences par temps de pandémie. Olivier de Palézieux, médecin urgentiste
Douleur douceur
- Edito. Gérard Ostermann, médecin
- Automaticité et neurosciences. Carolane Desmarteaux, neuropsychologue et Pierre Rainville, directeur du laboratoire de neuropsychologie-physiologie de la douleur de Montréal
- Syndromes d’Ehlers – Danlos. Errance du douloureux chronique. Sylvie Colombani-Claudel, médecin anesthésiste réanimateur et Blandine Rossi-Bouchet, orthophoniste
Dossier Ecothérapie autour de François Roustang
- Edito : Réintroduire un imaginaire centré sur la coopération. Julien Betbèze
- François Roustang et l’écothérapie. Il suffit de se sentir vivant. Virginie Coulombe, psychologue clinicienne
- Hypnose et crise écologique. La transe, renouveau anthropologique. Nicolas Bichot, psychologue clinicien
- Hypnose et narcissisme. La métaphore au service de la relation. Alexia Morvan, docteur en chirurgie dentaire
Rubriques :
- Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : Résonance. Stefano Colombo, psychiatre, illustration Mohand Chérif Si Ahmed, psychiatre
- Les champs du possible : A la bonne heure ! Adrian Chaboche, spécialiste en médecine générale et globale
Culture monde : Ces songes qui guérissent. Les rites d’incubation d’Hyderabad à Epidaure. Sylvie Le Pelletier-Beaufond, médecin-psychothérapeute.
- Les grands entretiens : Chantal Wood, pédiatre. Par Gérard Fitoussi, médecin