En 1986, Claude Virot, jeune interne en psychiatrie annonce à ses collègues qu’il va choisir la voie de l’hypnose.
On se moque de lui. « Je n’étais pas pris au sérieux. Mais ni la psychanalyse ni la psychiatrie médicamenteuse ne m’intéressaient », confie-t-il.
Dans son cabinet de l’avenue Louis-Barthou, Claude Virot exerce la psychiatrie d’une façon que beaucoup lui envieraient. « ça fait des années que je n’ai pas administré un médicament. Ma seule aide, c’est l’hypnose. Elle permet au patient de retrouver son état d’équilibre intérieur. »
Comment ça se passe ? L’état hypnotique n’est pas un état de sommeil mais un état de conscience modifié, appelé « transe hypnotique ». « J’aide le malade à se mettre en phase avec un souvenir heureux, une expérience qui va l’aider à guérir. Le corps est là mais la pensée est ailleurs. La transe va réguler progressivement le mental et le corps. »
Y a-t-il des conditions ? « La motivation et la confiance du patient sont essentielles. Quand on souffre vraiment, on ne se pose pas la question de savoir si ça peut marcher ou pas, on s’abandonne en toute confiance entre les mains du praticien. »
Cette discipline ne peut être pratiquée que par des médecins qualifiés. L’hypnose proprement dite est née dans l’hexagone en 1780. Largement oubliée au XXe siècle, elle est à nouveau utilisée depuis vingt-cinq ans. « Un certain nombre d’interventions chirurgicales se font aujourd’hui par le moyen de l’hypnose, qui sert d’anesthésiant en protégeant la conscience. »
Claude Virot est le premier Français à la tête de l’ISH depuis sa création en 1965.
Sa mission ? Fédérer et faire avancer les recherches des différents pays membres. Son rêve serait maintenant d’introduire l’enseignement de hypnose dans les études de médecine en France.
Jérôme Méar pour Le Rennais
Une pratique reconnue depuis la nuit des temps mais qui mérite d’être décryptée en détail. En tant qu’expert et président de ladite association, Slim Kabbaj a accepté de le faire pour démystifier cette technique.
ALM : Pouvez-vous nous parler brièvement de votre parcours ?
Depuis l’âge adulte et au niveau professionnel, j’ai eu une première vie comme chercheur en génie civil et professeur d’université, j’ai eu une deuxième vie dans les hautes technologies et le management d’organisations et j’en suis à ma troisième vie depuis une douzaine d’années dans les domaines du management, du coaching, du bien-être et du développement personnel auxquels j’ai rajouté plus récemment l’alimentation et les produits bio. Ce qui me passionne aujourd’hui, c’est comment accompagner un individu ou un groupe à être le meilleur de ce qu’il peut être sur tous les plans : mental, émotionnel, spirituel et aussi alimentaire, pour approcher le meilleur équilibre de vie et de travail.
Quels sont vos champs d’intervention et qu’offrez-vous à vos clients ?
J’interviens en tant que coach et praticien expert en hypnose avec des sujets ou clients pour les accompagner à trouver des solutions à des problèmes de performance, pour améliorer leur efficacité professionnelle ou leur communication, ou pour identifier de nouveaux chemins de mieux-être et d’épanouissement personnel. Certains de nos outils aident à régler effectivement des problèmes de phobie, de gestion de stress, de poids, d’addiction, de dépression, d’insomnie, d’allergie; nous évitons néanmoins de pratiquer la médecine en tant que tel, sauf les praticiens diplômés en médecine par ailleurs. En fait sur ce point, beaucoup de médecins, de psychologues aujourd’hui se forment à l’Hypnose, à la PNL, à la Thérapie Cognitivo-Comportementale, à l’Analyse Transactionnelle…, pour disposer d’une boîte à outils et aider leurs patients de manière plus complète et répondre aux problèmes de plus en plus complexes et inter-reliés de la vie moderne. Le stress notamment a des répercussions psychosomatiques de mieux en mieux identifiés et/ou bien appréhendé par les médecines « douces », voire par l’auto-hypnose et la méditation. Je suis de ceux qui voient une grande complémentarité dans toutes ces disciplines.
Pouvez-vous nous démystifier les principales techniques thérapeutiques que vous offrez justement à vos patients/sujets ?
Permettez-moi de me limiter à l’hypnose pour ne pas me disperser et mieux me faire comprendre. Chacune des thérapies nécessiterait un développement.
L’hypnose éricksonienne voit l’hypnose comme une communication avec la partie inconsciente du cerveau, réservoir de ressources, de sagesse et de créativité, et qui a les capacités de trouver les solutions pour le mieux-être du sujet. De plus, l’état hypnotique est considéré comme un état naturel qui est vécu par chaque individu plusieurs fois par jour et représente un moment de grande suggestibilité où les croyances limitantes, les habitudes, les conditionnements peuvent être remis en cause. Ainsi, le praticien en hypnose génère avec des mots ce même état et guide la personne concernée introduisant des suggestions qui vont dans le sens des objectifs désirés ; les suggestions sont intégrées dans des métaphores, des techniques et un savoir-faire de manière à être accepté par l’inconscient et créer ainsi les transformations et les changements espérés. C’est un travail conjoint entre le praticien et le sujet, acteur de son mieux-être.
Quelle est l’évolution de certaines techniques thérapeutiques dans le monde ?
Le 20ème siècle a vu apparaître une série d’avancées novatrices dans la compréhension des individus au niveau psychologique et des comportements humains. Charcot, Bernheim, Freud et Jung Rogers ont ainsi développé diverses théories qui ont marqué pour longtemps nos connaissances et dont les débats contradictoires continuent de nos jours. Dans les années 50, la psychologie est rentrée dans les entreprises et a permis de remettre en cause le travail à la chaîne né de la révolution industrielle, développant aussi beaucoup de théories psychologiques et de travaux sur l’intelligence. Dans les années 70, c’est toute notre compréhension et conception de la communication qui ont été réactualisées, avec l’Ecole de Palo Alto, avec aussi le développement de la PNL.
Depuis, il y a une sorte de convergence entre les médecines anciennes (notamment chinoise) et leur manière d’appréhender l’humain en tant qu’ensemble intégré et de privilégier aussi la prévention, la médecine moderne dans ce qu’elle apporte comme outils de compréhension, de diagnostic et de traitement, en particulier les neurosciences, et plus récemment les théories de la communication et des comportements humains. Il est notable que la discipline en vogue dans les grands centres de recherche hospitaliers est aujourd’hui la psycho-neuro-immunologie (PNI), qui reflète cette convergence. L’hypnose, la méditation, le « mindfulness », l’art thérapie, la musique, les massages, le yoga, le taï chi, etc., ont maintenant fait leur entrée dans les pratiques hospitalières modernes et dans les cabinets des psychologues et thérapeutes.
Quelles sont les avancées dans ce domaine au Maroc ?
Les mêmes débats, les mêmes pratiques et les mêmes théories existent au Maroc. Mais ne nous faisons pas d’illusion, certains de ces domaines (comme la PNI) nécessitent des budgets colossaux en matière de recherche, notamment au sein des hôpitaux. Ce qui est plus à notre portée, c’est l’observation des comportements et la compréhension de certains modèles ; c’est aussi la validation des outils par l’expérience dans notre environnement social. L’hypnose est ainsi en train de faire des avancées en nombre de praticiens spécialistes, en médecine et dans les cabinets dentaires. J’espère que ces domaines resteront ouverts aux études et recherches, aux écoles de pensée et aux pratiques, dans un débat sérieux, pour le plus grand bien de la santé et du bien-être de la population.
Comment peut-on mesurer les résultats d’une pratique de ce genre ?
Le sujet/client accompagné est le seul juge du résultat vis-à-vis des objectifs qu’il s’est tracé vis-à-vis de son mieux-être, de sa santé, de ses réussites. Il y a en un sens une dimension significative de subjectivité ; comme c’est le cas dans beaucoup d’applications médicales, en psychologie, en psychanalyse. Les résultats de l’hypnose peuvent se mesurer aussi en comparaison avec diverses pratiques sur les mêmes sujets, de plus en plus nombreux à voir des spécialistes dans notre domaine et par le taux de retour. Les mentalités et les pratiques évoluent dans le bon sens ; n’oublions pas qu’il y a peu de temps, on ne pouvait être accompagné dans quelque pratique de bien-être que ce soit que si on était vraiment malade.
J’imagine que si vous avez décidé de créer une association des praticiens en Hypnose c’est bien pour lancer les jalons d’une charte déontologique de telle sorte à faire barrière aux personnes qui pourraient s’autoproclamer hypnotiseurs praticiens et créer des dégâts psychologiques certains sur l’individu. Quels sont les risques justement encourus par une personne qui se fait hypnotiser par une personne qui ne maîtrise pas la technique ?
L’AMPH a mis en place une charte déontologique à signer par tous les praticiens qui adhèrent à l’Association. De plus, le comité concerné a le droit de refuser toute personne qui ne présente pas les conditions pédagogiques et de savoir-faire de la discipline et qui ne respecte pas la déontologie d’une bonne pratique. Les risques que font courir les apprentis sorciers insouciants ou cupides est de choquer ou perturber le sujet ou pire de traiter un sujet qui présente des troubles mentaux, qu’il faudrait guider vers des psychiatres mieux à même de gérer les cas lourds de ce type. Ceci dit, pour un sujet normal, un mauvais « hypnotiseur » n’est pas exagérément dangereux ; comme je le disais, l’hypnose ce sont des mots et une communication qui entraînent un état modifié de conscience. Quand cela ne marche pas, le sujet reste « éveillé » ou sort rapidement de sa transe, sans le résultat recherché. Le contrecoup de ces dérives individuelles est la perte de crédibilité de la pratique de l’hypnose. Nous avons été attentifs lors de l’Assemblée Générale de l’AMPH que le bureau soit notamment composé de médecins, de pharmaciens, de psychologues, de thérapeutes, de formateurs, de coachs pour bien évaluer et promouvoir la pratique avec ses différentes perspectives au Maroc.
Pour apprendre et pratiquer l’hypnose, aucun don ou talent particulier ne sont nécessaires. C’est un ensemble de techniques qu’il faut maîtriser et un savoir-faire qu’il faut pratiquer. Plus une personne travaille sa boîte à outils et sa créativité, ajuste ses manières de faire aux sujets qu’il a en face de lui, garde une modestie vis-à-vis de la complexité de l’individu et du fait que chacun est unique, et plus les résultats seront probants. Je dirais la même chose de la communication : ce sont les deux facettes de la même pièce.
Vous-même, comment avez-vous acquis cette formation et dans quelle circonstance?
J’ai toujours été attiré par les échanges et les relations humaines depuis très jeune ; j’ai ainsi animé une émission à la radio à l’âge de 17 ans et depuis la communication fait partie de ma vie. Dès que j’en ai eu l’opportunité, il y a plus d’une douzaine d’années, j’ai naturellement plongé professionnellement dans le monde de la communication et du coaching d’abord à l’Université Harvard aux USA puis à la Coaching Academy de Grande Bretagne. Depuis, je n’ai pas arrêté de me former, en analyse transactionnelle, en analyse systémique, en Thérapie Cognitivo-Comportementale. Quand j’ai abordé sérieusement l’hypnose éricksonienne, j’étais d’abord sceptique et comme beaucoup j’avais des préjugés sur l’hypnose dont je ne voyais pas l’utilité dans l’enseignement, le coaching ou en thérapie. Mes professeurs, parmi les meilleurs au monde : notamment Richard Bandler, John Grinder et Betty Alice Erickson, m’ont convaincu que les résultats, en particulier avec les sujets qui présentaient des inhibitions, des résistances, des croyances limitantes, des conditionnements…, étaient de loin supérieurs avec l’hypnose. Je décris ainsi régulièrement dans la presse les résultats que j’obtiens ; certains cas sont étonnants. Cela m’encourage à avancer davantage ; et plus j’apprends, plus je me rends compte de ce que je dois encore apprendre : le cerveau est vraiment l’organe le plus complexe de l’univers.
Que conseillez-vous à vos patients quand ils sont partagés entre la médecine pure et dure et les techniques dites douces pour atténuer leurs souffrances ?
Dans le cas de souffrances, les sujets viennent en général voir un praticien en hypnose ou en technique douce quand ils ont fait le tour des autres praticiens et qu’ils sont prêts à essayer autre chose. Il arrive aussi qu’ils voient leurs médecins en parallèle. En tout état de cause, notre apport est complémentaire à celui de la médecine et vise avant tout à apporter du mieux-être, sans nous substituer aux médecins. Il arrive d’ailleurs que les choses se fassent en totale coordination entre les différentes spécialités pour l’intérêt de la personne en question. Au Maroc, les médecins sont nombreux à venir à l’hypnose médicale et à l’hypnose clinique, et à d’autres techniques douces, et c’est une excellente tendance. Il faut savoir que Milton Erickson, psychiatre, psychologue et praticien en hypnose, a énormément apporté au traitement de la douleur par l’hypnose et le potentiel d’utilisation est considérable au Maroc comme ailleurs.
Prévoyez-vous dans vos projets de vous consacrer à la formation de certaines personnes qui seraient prédisposées à devenir praticiens en hypnose ? Quels sont les critères d’éligibilité ?
Je contribue à des formations en hypnose depuis trois ans, auxquelles participent des cadres supérieurs, des coachs, des médecins, des dentistes, des pharmaciens, des thérapeutes... Des équipes de spécialistes animent ainsi au sein d’IS-Force des modules sur les théories, sur les techniques et sur le savoir-faire pratique dans le domaine, pour un volume horaire de plus de 200 heures. Certains étudiants font le programme pour eux-mêmes, d’autres pour devenir praticiens, et nous fonctionnons sans considération d’une prédisposition quelconque qui n’a pas lieu d’être. Les critères d’éligibilité sont assez souples ; nous ne certifions néanmoins en fin de programme que les personnes aptes à entrer dans les relations d’aide, en prêtant attention aux déséquilibres critiques éventuels. Notre pédagogie est anglo-saxonne en ce sens que nous faisons un suivi de proximité des participants avec une série d’ateliers pratiques et personnalisés pour nous assurer que les participants ont la connaissance et l’habilité nécessaires pour pratiquer dans de bonnes conditions.
Avez-vous d’autres éléments à ajouter surtout en matière de préservation des individus face à certaines formes de charlatanisme ?
Je crois que dans toute pratique et même au niveau international, il y a des risques de charlatanisme et de dérive. A l’opposé, l’histoire est malheureusement féconde de tous les rejets et les résistances vis-à-vis de disciplines, qui finissent par faire leurs preuves après trop de perte de temps. Il faut donc pouvoir faire la part des choses ; chacun est invité à la prudence et à utiliser son sens critique pour évaluer ce qui est sérieux de ce qui ne l’est pas. Un bon praticien, marocain ou étranger, est crédible par ses formations, ses certificats, sa réputation et ses résultats, ainsi que l’environnement dans lequel il travaille. Pareil pour une formation de praticiens : il y a un nombre d’heures ou de jours, la réputation et la crédibilité des formateurs, la valeur de la certification. Un des objectifs de l’AMPH, comme je le disais, est de clarifier la situation dans notre environnement ; il n’en reste pas moins que chacun doit faire ses choix en toute liberté et en connaissance de cause.
Dounia Essabban pour le Journal Aujourd'hui Le Maroc
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