J’aimerais soulever une analogie entre ce que l’on peut voir et faire dans nos cabinets de psychologues, psychiatres et psychothérapeutes (nommés psys dans la suite du texte) et le mode de réponse à la crise sanitaire actuelle. J’aborderai les conséquences possibles du passage d’une prescription de « confinement » à une injonction de cet enfermement : comment peut-elle agir sur nos psychismes, nos apprentissages, nos émotions et nos angoisses ? Cette injonction mène-t-elle ou entretient-elle la déresponsabilisation la où cette crise pourrait, ou aurait pu, conduire à une émancipation ?
On peut se poser la question de l’analogie entre la situation contemporaine mondiale d’enfermement, de figement, nommée élégamment « confinement », et celle que nous rencontrons dans nos cabinets. Certaines familles ou individus arrivent en situation de grandes souffrances qui les empêchent de vivre et qui ne sont que l’expression d’une angoisse de mort envahissante. Dans ce cas, l’objectif de la thérapie sera de leur permettre de sortir de leur état pathologique pour reprendre vie. Parfois, ils ne peuvent pas venir à notre cabinet, parce qu’ils ne peuvent plus sortir de chez eux tant bouger devient dangereux. Associées à ce symptôme extrême, ils peuvent présenter des insomnies, des difficultés d’endormissement. Ils peuvent avoir des obsessions de propreté, de ménage. Ils peuvent être dans des impossibilités de prise de décision pour eux-mêmes et se soumettre à l’autre qui serait capable de décider de tout, et surtout de ce qui serait bon, bien, le mieux pour eux... Ils subissent, ils ont peur. Le futur est rempli de projections anxieuses, catastrophiques et terrifiantes. Le temps devient en lui-même une matière angoissante. Dans leur monde de catastrophes, le refuge dans le figement apparaît comme une manière cohérente de contrôler l’incontrôlable : la mort.
L’hyperactivité peut être lue dans une même perspective : tant que je bouge, je ne suis pas mort... La vie comme la mort ont ceci en commun qu’elles sont incontrôlables, en grande partie. Ces patients épuisés dépensent une énergie considérable à vouloir réaliser l’impossible.
Peut-on y voir une analogie avec la situation actuelle ? Une raison matérielle et réaliste justifie la stratégie de confinement : on ne pourra pas soigner et recevoir tout le monde en même temps à l’hôpital en réanimation parce qu’on en n’a pas les moyens, ni matériels, ni humains. Indiscutable et indiscutée ici.
Mais quels autres sens peuvent surgir d’une vision d’un monde figé, de populations enfermées, immobilisées ? Cette stratégie de survie employée par toute proie en situation de risque de mort imminente, le figement, peut-elle activer en arrière-plan cette angoisse de mort ? Mais peut-elle aussi activer la croyance en une toute-puissance de contrôler la mort ? De la même façon que nos patients s’épuisent à croire qu’ils vont pouvoir contrôler la mort, leur vie reste focalisée sur la mort. La solution confinement à court terme est privilégiée. Elle passe a côté de la vie, reste focalisée sur la mort, tandis que la vie... passe.
La mort est une donnée objective nous permettant de savoir que la vie existe. Si rien ni personne ne meurt, nous ne savons pas que nous sommes en vie. Les gouvernements qui nous prescrivent les symptômes de l’angoisse de mort, qui nous prescrivent de vivre comme si nous étions morts pour ne pas mourir, seraient-ils tous tombés sur la tête ? Seraient-ils tous atteints de ce mal en une croyance qu’il ne faut plus mourir et plutôt faire semblant de « vivre » ? En une croyance que nous pourrions contrôler la mort ? Des techniques psychothérapeutiques de « prescriptions de symptômes » existent. Elles sont efficaces dans certains contextes précis construits par les psys en collaboration avec leurs patients. Ces techniques ont comme prérequis le soin de la relation, une confiance et une alliance existantes, ainsi qu’une capacité certaine de contenir les émotions et les angoisses du patient. Cette stratégie a pour but de simuler une situation de crise pour conduire le patient a trouver ses ressources, les construire et se sortir de son impasse. Il n’est plus seul mais accompagné de près par le psy jusqu’à la fin du processus. Dans le contexte actuel, la relation de confiance avec les politiques est-elle construite et (pré)existante ? Comment les générations suivantes vont-elles être soutenues pour faire face à la suite des processus sociaux, économiques, écologiques, interactionnels ?
Chacun a sa vision de ce qu’est la mort, peu de personnes y pensent réellement, sauf quand elle surgit. Des peurs et des angoisses sont facilement activées par ce sujet. Chacun a une représentation de ce qu’est vivre, c’est-a-dire expérimenter, ressentir, partager... Comment mettre en mots, rendre conscientes, élaborer ces angoisses de mort ? Au-delà d’un travail psychothérapeutique, comment, culturellement, socialement, redonner à la mort sa place dans la vie ? Comment la repenser afin d’activer l’envie de vivre plutôt que des angoisses de mort ? Puisque nous espérons que cette crise apporte des changements, pouvons-nous imaginer en continuant l’analogie avec nos patients, que la mort soit un mot, un passage, une réalité qui nous permette de vivre mieux notre vie avec la conscience de la vie et de la mort de soi et des autres personnes ? Intégrer une réalité qui consiste juste a vivre pendant que nous sommes vivants.
Comment traduire, percevoir ce que nous entendons toute la journée sur les ondes : « Restez enfermés chez vous, nettoyez tout chez vous, les courses pour vous nourrir, les poignées de porte, si vous êtes malades téléphonez au 15 et n’allez pas voir le médecin ni les urgences, pour vous protéger et protéger les autres » : restez chez vous, restez figés sinon vous allez mourir et tuer les autres. Symptôme d’enfermement, voire pour certains de figement. Si on fait le mort, on pourrait s’en sortir... Ce qui est vrai avec certains prédateurs...
Nous retrouvons les prescriptions que les patients angoissés à l’extrême s’appliquent naturellement à eux-mêmes... Si les psys ne sont pas eux-mêmes atteints par cette angoisse de mort, s’ils continuent de travailler en téléconference, ils peuvent mesurer le pouvoir d’activation et de réactivation d’angoisses liées a cette injonction de confinement.
On peut se poser la question de l’analogie entre la situation contemporaine mondiale d’enfermement, de figement, nommée élégamment « confinement », et celle que nous rencontrons dans nos cabinets. Certaines familles ou individus arrivent en situation de grandes souffrances qui les empêchent de vivre et qui ne sont que l’expression d’une angoisse de mort envahissante. Dans ce cas, l’objectif de la thérapie sera de leur permettre de sortir de leur état pathologique pour reprendre vie. Parfois, ils ne peuvent pas venir à notre cabinet, parce qu’ils ne peuvent plus sortir de chez eux tant bouger devient dangereux. Associées à ce symptôme extrême, ils peuvent présenter des insomnies, des difficultés d’endormissement. Ils peuvent avoir des obsessions de propreté, de ménage. Ils peuvent être dans des impossibilités de prise de décision pour eux-mêmes et se soumettre à l’autre qui serait capable de décider de tout, et surtout de ce qui serait bon, bien, le mieux pour eux... Ils subissent, ils ont peur. Le futur est rempli de projections anxieuses, catastrophiques et terrifiantes. Le temps devient en lui-même une matière angoissante. Dans leur monde de catastrophes, le refuge dans le figement apparaît comme une manière cohérente de contrôler l’incontrôlable : la mort.
L’hyperactivité peut être lue dans une même perspective : tant que je bouge, je ne suis pas mort... La vie comme la mort ont ceci en commun qu’elles sont incontrôlables, en grande partie. Ces patients épuisés dépensent une énergie considérable à vouloir réaliser l’impossible.
Peut-on y voir une analogie avec la situation actuelle ? Une raison matérielle et réaliste justifie la stratégie de confinement : on ne pourra pas soigner et recevoir tout le monde en même temps à l’hôpital en réanimation parce qu’on en n’a pas les moyens, ni matériels, ni humains. Indiscutable et indiscutée ici.
Mais quels autres sens peuvent surgir d’une vision d’un monde figé, de populations enfermées, immobilisées ? Cette stratégie de survie employée par toute proie en situation de risque de mort imminente, le figement, peut-elle activer en arrière-plan cette angoisse de mort ? Mais peut-elle aussi activer la croyance en une toute-puissance de contrôler la mort ? De la même façon que nos patients s’épuisent à croire qu’ils vont pouvoir contrôler la mort, leur vie reste focalisée sur la mort. La solution confinement à court terme est privilégiée. Elle passe a côté de la vie, reste focalisée sur la mort, tandis que la vie... passe.
La mort est une donnée objective nous permettant de savoir que la vie existe. Si rien ni personne ne meurt, nous ne savons pas que nous sommes en vie. Les gouvernements qui nous prescrivent les symptômes de l’angoisse de mort, qui nous prescrivent de vivre comme si nous étions morts pour ne pas mourir, seraient-ils tous tombés sur la tête ? Seraient-ils tous atteints de ce mal en une croyance qu’il ne faut plus mourir et plutôt faire semblant de « vivre » ? En une croyance que nous pourrions contrôler la mort ? Des techniques psychothérapeutiques de « prescriptions de symptômes » existent. Elles sont efficaces dans certains contextes précis construits par les psys en collaboration avec leurs patients. Ces techniques ont comme prérequis le soin de la relation, une confiance et une alliance existantes, ainsi qu’une capacité certaine de contenir les émotions et les angoisses du patient. Cette stratégie a pour but de simuler une situation de crise pour conduire le patient a trouver ses ressources, les construire et se sortir de son impasse. Il n’est plus seul mais accompagné de près par le psy jusqu’à la fin du processus. Dans le contexte actuel, la relation de confiance avec les politiques est-elle construite et (pré)existante ? Comment les générations suivantes vont-elles être soutenues pour faire face à la suite des processus sociaux, économiques, écologiques, interactionnels ?
Chacun a sa vision de ce qu’est la mort, peu de personnes y pensent réellement, sauf quand elle surgit. Des peurs et des angoisses sont facilement activées par ce sujet. Chacun a une représentation de ce qu’est vivre, c’est-a-dire expérimenter, ressentir, partager... Comment mettre en mots, rendre conscientes, élaborer ces angoisses de mort ? Au-delà d’un travail psychothérapeutique, comment, culturellement, socialement, redonner à la mort sa place dans la vie ? Comment la repenser afin d’activer l’envie de vivre plutôt que des angoisses de mort ? Puisque nous espérons que cette crise apporte des changements, pouvons-nous imaginer en continuant l’analogie avec nos patients, que la mort soit un mot, un passage, une réalité qui nous permette de vivre mieux notre vie avec la conscience de la vie et de la mort de soi et des autres personnes ? Intégrer une réalité qui consiste juste a vivre pendant que nous sommes vivants.
Comment traduire, percevoir ce que nous entendons toute la journée sur les ondes : « Restez enfermés chez vous, nettoyez tout chez vous, les courses pour vous nourrir, les poignées de porte, si vous êtes malades téléphonez au 15 et n’allez pas voir le médecin ni les urgences, pour vous protéger et protéger les autres » : restez chez vous, restez figés sinon vous allez mourir et tuer les autres. Symptôme d’enfermement, voire pour certains de figement. Si on fait le mort, on pourrait s’en sortir... Ce qui est vrai avec certains prédateurs...
Nous retrouvons les prescriptions que les patients angoissés à l’extrême s’appliquent naturellement à eux-mêmes... Si les psys ne sont pas eux-mêmes atteints par cette angoisse de mort, s’ils continuent de travailler en téléconference, ils peuvent mesurer le pouvoir d’activation et de réactivation d’angoisses liées a cette injonction de confinement.
VÉRONIQUE COHIER-RAHBAN
Psychologue et psychothérapeute. Supervisions individuelles et institutionnelles. Elle utilise la systémie, la psychanalyse, l’HTSMA, l’hypnose. Spécialisée dans les psychothérapies des traumatisations complexes. Plus d’une vingtaine de publications dans les revues « Thérapie familiale », « Dialogue », « Sexualités Humaines » et participation à des ouvrages collectifs.
Pour lire la suite...
N°58 : août/septembre/octobre – Parution le 31 juillet
Dossier : crise et après-crise
Le dossier de ce n°58 est consacré aux conséquences de la crise sanitaire sur les patients et aux pratiques thérapeutiques qui en découlent.
- Edito : Sophie Cohen
- On ne saurait se passer des étoiles. Marc-Alain Ouaknin, philosophe
- Leçon d’un confinement. David Le Breton, sociologue
- L’angoisse de mort. Véronique Cohier-Rahban, psychothérapeute
Espace Douleur Douceur
- Modifier nos pratiques thérapeutiques ? Henri Bensoussan, médecin hypnothérapeute
- Une bulle d’oxygène. Au centre hospitalier de Bligny. Agathe Delignières, psychologue
- L’expérience sécure. Développement du « lieu sûr ». Arnaud Zeman, Hypnothérapeute
Dossier « Crise et après crise »
Edito : Sophie Cohen
- La tulipe et le saule pleureur. Un conte de Jean-Marc Benhaiem, médecin hypnothérapeute
- 17 jours dans les griffes du Covid-19. Un témoignage d’Olivier Debas, médecin urgentiste, touché par la maladie.
- Ecrire pour sortir du problème. Vania Torres-Lacaze, Guillaume Delannoy, Annick Toussaint responsables de l’IGB
- Confinement : corps, émotions et représentations psychiques. Bruno Dubos
- Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : « période bousculée ». Stefano Colombo et Mohand Chérif Si Ahmed (alias Muhuc)
- Les champs du possible : Connaître de l’Autre, Soi-même. Adrian Chaboche, spécialiste en médecine générale et globale
- Culture monde : Chamanisme chez les indiens Shipibos-Conibos. Jean-Marc Boyer, psychopraticien
- Les grands entretiens. Réglementer la pratique de l’hypnose. Entretien avec Gérard Fitoussi, président de la CFHTB
- Livres en bouche
- Ouvrages de David Le Breton
Dossier : crise et après-crise
Le dossier de ce n°58 est consacré aux conséquences de la crise sanitaire sur les patients et aux pratiques thérapeutiques qui en découlent.
- Edito : Sophie Cohen
- On ne saurait se passer des étoiles. Marc-Alain Ouaknin, philosophe
- Leçon d’un confinement. David Le Breton, sociologue
- L’angoisse de mort. Véronique Cohier-Rahban, psychothérapeute
Espace Douleur Douceur
- Modifier nos pratiques thérapeutiques ? Henri Bensoussan, médecin hypnothérapeute
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Dossier « Crise et après crise »
Edito : Sophie Cohen
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