Alain Giraud : Pourquoi avoir écrit un ouvrage sur la sophrologie analytique ?
Jean-Pierre Hubert : À l'heure actuelle, j'estime que le moment est venu de préciser sans plus attendre ce qu'est la sophrologie analytique désignée sous le vocable de sophranalyse.
Ce terme a été malheureusement banalisé sous de nombreuses formes ne présentant aucune cohérence car sans rapport avec la réalité de la sophranalyse et la formation que l'on doit respecter. Cette mise au point contribuera à faire avancer les relations, non seulement entre thérapeutes mais encore entre toutes les personnalités s'occupant de la relation et de la souffrance humaine.
C'est aussi par réaction à une sorte de "nouvelle vague" qui semble destinée à vendre la sophrologie comme un produit de consommation facile et pratique.
Je pense en effet, qu'il est nécessaire de maintenir la sophrologie dans la ligne d'une déontologie rigoureuse qui était celle de la période de fondation car la sophrologie est indissociable de la thérapeutique et du rapport social gouverné par une éthique qui va de soi mais qui n'est pas toujours respectée.
Que peut-il survenir au cours d'une "simple" sophronisation de base ?
Prenons le cas de Christiane 35 ans. Elle déclare au cours de sa première relaxation : « Je me suis sentie et je me suis vue … et soudain devant une glace, en me passant de l'eau de toilette sur le corps, j'ai eu une envie subite et frénétique de me lacérer à coup de griffes, de me couper, de me battre, de détruire ce corps que je déteste et qui me trahit de cent mille manières, qui vit sa vie propre sans me demander mon avis et sur qui je n'ai de contrôle qu'illusoire et limité, qui contient des tas de trucs, de liquides, d'odeurs dégoûtantes contre lesquels je ne peux pas grand-chose et que je contrôle plus ou moins bien avec la terreur qu'ils surgissent à l'improviste.
Peut-être est-ce pour cela aussi que, moi qui ne rêve que câlins et protection dans les bras des gens qui me plaisent et dont je suis amourachée, dès qu'on me touche, dès que la fiction mentale devient réalité physique, j'ai des réflexes de brûlée, d'écorchée vive, je souffre comme un diable dans un bénitier, je me raidis, je suis affreusement mal à l'aise. Ne pas savoir que faire de ce corps encombrant, quelle angoisse !
Et encore maintenant cela se justifie étant donné l'ampleur dudit corps. Mais cela a toujours été ainsi même à douze ans, à quinze ans, vingt ans. Le désir de câlins, de caresses, de blottissements… et dès qu'on me touche je me rétracte. Moi qui adore toucher, peloter les autres, je ne supporte pas la réciproque. »
Si cette observation présente un caractère dramatique d'une ampleur exceptionnelle, il n'en reste pas moins vrai qu'à des degrés différents, il peut arriver que des sujets venant rechercher les bienfaits de la relaxation ou du training, se trouvent brutalement confrontés à une rencontre stupéfiante avec eux-mêmes.
Il est évident que cette intense émotion ne peut pas être laissée à l'abandon et ne peut être résolue par telle ou telle technique relevant de la relation d'aide ou techniques de comportement. C'est l'intérêt majeur et évident de la sophrologie analytique, que de pouvoir assurer cette suite, à la condition que le praticien soit rigoureusement formé.
Ce qui signifie concrètement ?
Que la spécialité doit commencer par la formation complète du praticien sophrologue, d'abord dans les attitudes comportementales cognitives et ensuite, que le praticien doit être conscient d'une nécessité d'évolution vers la rencontre analytique qui seule pourra prétendre résoudre le symptôme, tel l'exemple que je viens de relater.
Quand on dit "résolution du symptôme", il s'agit de considérer la pathologie d'entrée, qui peut remonter très loin dans la vie du sujet c'est-à-dire tous les traumatismes, les affects, même ceux qui peuvent apparaître les plus modestes ou qui sont tombés dans l'oubli.
Devant ce cas, quelle entreprise thérapeutique peut apporter la sophrologie analytique? Quel plan de traitement le sophrologue, au clair avec ses propres compétences, peut-il proposer ?
L’observation évoque une structure hystérique. La première attitude est l’écoute bienveillante, attentive et scrupuleuse. Le thérapeute proposera progressivement une sophronisation de base très prudente en insistant sur le dialogue que cette malade entreprendra avec son propre corps, quelles que soient les réponses de ce corps senti et perçu douloureusement dans une expression cathartique.
C’est bien en tout premier lieu l’apport de la sophrologie. Ce langage du corps, cette confrontation régulière qui implique une cure longue, ouvre la voie à l’écoute analytique et au langage dans les principes de la sophrologie découvrante.
Cette expression est suivie à la fin de chaque séance, d’un recentrement sur le corps. C’est exactement l’inverse de la répression symptomatique et même à l’inverse du processus psychanalytique de base que de passer ainsi au fur et à mesure du corps douloureux au corps vécu puis enfin au corps intégré en tant que corps phénomène. Il sera alors toléré, progressivement admis et caressé par la patiente comme elle a tendance à le faire pour l’autre.
Il s’agit bien entendu d’une cure de longue durée dans un transfert-translation d’émotions, de l’objet extérieur à l’objet intérieur. Par le corps médiateur, la sophrologie analytique permet d’entreprendre, même dans un cas extrême, une intégration qui n’est pas toujours dans la possibilité d’autres thérapies.
L'intérêt du thérapeute, comme du patient, est de pouvoir accéder à la pathologie d'entrée et de la connaître pour parvenir à la résoudre, même si cette résolution n'apparaît pas au premier abord systématique.
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